La région de Grande Pologne est le berceau de la Pologne. À Lubiń, dans sa partie sud, dans le district de Kościan et sur une dernière colline du haut-plateau de Kalisz, on peut apercevoir de loin la silhouette élancée d une église abbatiale.
Les bénédictins de Liège se sont installés ici en 1076 à la demande du roi de Pologne Boleslas le Hardi. Ils avaient pour mission de répandre le christianisme "par la croix, le livre et la charrue" dans cette région encore sauvage et païenne. Pour une raison mystérieuse, les moines interrompirent cependant la construction de leur église - la plus ancienne de ce territoire - et disparurent pendant 40 ans.
Le roi Boleslas Bouche-Torse entreprit la seconde fondation de l abbaye avec l aide de la puissante famille des Awdaniec. On construisit à cette époque une basilique romane dont certains murs et fondations ont pu être mis à jour lors de récentes fouilles archéologiques. L église Notre-Dame fut consacrée en 1145.
Au XIIIe siècle, les bénédictins construisirent également tout près une église paroissiale romane, St Léonard, remaniée au XVIe siècle où elle reçut une toiture Renaissance. Elle est toujours considérée comme l une des plus belles églises romanes de Pologne.
Les fouilles archéologiques ont mis à jour des vestiges de pavage de cour intérieure, un foyer de forge, un four de fonderie, un four à pain et une hôtellerie visiblement très luxueuse par rapport aux conditions de l époque. Ils nous permettent de nous imaginer combien l abbaye devait être riche et industrieuse. Lubiń comptait à cette époque environ 30 religieux chargés de la gestion d un énorme domaine. L abbaye était si riche qu elle apporta même parfois un soutien financier aux rois de Pologne dans le besoin.
Lubiń était également un centre d enseignement. Dès 1150, l abbaye posséda un scriptorium et ses moines lettrés servirent de secrétaires aux rois et princes polonais. L un de ces érudits est passé à la postérité sous le nom de Gallus Anonymus, auteur des plus anciennes chroniques polonaises en langue latine. La règle des bénédictins leur imposait de savoir lire les Écritures, et par conséquent leurs abbayes se constituaient des bibliothèques. L école pour jeunes nobles et bourgeois de Lubiń était également célèbre. L abbé Kiszewski y fonda même une école de musique.
Sous l abbé Stéphane qui dirigea le monastère de 1444 à 1460, l église fut transformée en style gothique, et en 1530, sous l abbé Nicolas, elle fut rehaussée pour obtenir la silhouette élancée propre aux édifices gothiques. On y ajouta ensuite des chapelles latérales dans les années 1730-1738. C est également de cette époque que datent les polychromies baroques à thèmes mariaux, réalisées sur de nouvelles voûtes et représentant le Triomphe de Marie et les Mystères du Rosaire, ainsi que les belles stalles de Jan Jerzy Urbański et du sculpteur Jan Hampel, dont le décor s inspire des paroles du psaume "Entre les anges je chanterai un hymne au Seigneur ": elles sont en effet décorées de nombreux anges très animés. Sur les murs de l église, on peut aussi voir des plaques tombales d abbés des XVIe et XVIIe siècles, ainsi que la pierre tombale du duc polonais Ladislas aux Jambes Grêles, assassiné en 1231 à Środa Śląska et qui a peut-être été enterré à Lubiń.
L abbaye a cependant été envahie et pillée pendant toutes les guerres. Lors de l invasion suédoise de 1655, elle fut même si complètement mise à sac et dévastée que ses moines demeurèrent dispersés pendant les 5 années suivantes. Pendant la guerre du Nord, les Suédois emportèrent de nombreux livres précieux de la bibliothèque abbatiale. Mais malgré ses malheurs, l abbaye s est chaque fois relevée au cours des siècles. Lors du partage de la Pologne de 1795, la région de Grande Pologne passa aux mains des Prussiens qui supprimèrent les ordres religieux. En 1834, la bibliothèque de Lubiń fut transportée à Berlin et les bâtiments de l abbaye furent abattus, à l exception du presbytère.
En 1923, 49 ans après la mort du dernier religieux de Lubiń, deux bénédictins polonais assistés des frères du couvent Emmaus de Prague entreprirent de reconstruire l abbaye de Lubiń, mais la Deuxième Guerre mondiale interrompit leurs travaux. Les nazis confisquèrent les terres et les bâtiments des dépendances de l abbaye et installèrent dans le cloître même un camp de transit pour prêtres catholiques. Lorsque ceux-ci furent déportés dans les camps de concentration, les Allemands pillèrent l église et la fermèrent. Ils firent également main basse sur les collections du Musée de la Terre de Kościan qu avait rassemblées le père Jozafat Ostrowski. Dans le cloître, les Allemands installèrent d abord un hospice de vieillards, puis un centre de vacances pour les Jeunesses Hitlériennes. Beaucoup de religieux moururent dans les camps et les prisons.
Le premier bénédictin à revenir à Lubiń après la guerre fut le père Jan Jankowski, dès 1945.
Lors des travaux de rénovation du couvent entrepris en 1978, on a découvert des vestiges des anciens bâtiments. Un ensemble de fouilles archéologiques ont été menées pendant de longues années sous la direction du professeur Zofia Kurnatowska de Poznań. Elles ont donné lieu à de nombreuses découvertes et ont permis de reconstituer l histoire de l abbaye. La décoration intérieure de l église a été restaurée en 2000-2001.
Il ne reste malheureusement plus grand chose de l ancienne splendeur de l abbaye et de sa précieuse bibliothèque. Son plus beau bâtiment est l église dite aujourd hui de la Nativité de la Vierge. Le mariage toujours visible de ses différents styles, ses belles stalles baroques, son maître- autel et ses polychromies forment un ensemble très harmonieux et rassemblent toutes ses valeurs artistiques. On peut encore signaler la présence, en face de l église, du plus vieux marronnier de Pologne.
Les bénédictins de Lubiń ont repris aujourd hui leur vie religieuse définie dans la règle de leur ordre, "ora et labora", et sont au service des hommes. Ils s occupent du catéchisme et de groupes de jeunes, proposent des cours de méditation, accueillent des personnes à la recherche d une assistance spirituelle, cultivent une pépinière d arbres fruitiers et de plantes de jardin, et tout ceci, selon leur devise qui est de "glorifier Dieu en toute chose".