La Règle

Le Saint-Règle de saint Benoît

Auteur: Saint Benoît, abbé de Monte Cassino

Traduction: Dom Philibert Schmitz OSB

Description: Saint-Benoît prévu à l'origine ce texte pour une utilisation dans les monastères. Saint Benoît souligne l'importance de la paix, la prière, le travail, le sacrifice, l'humilité, la frugalité, et l'obéissance. Ses lignes directrices doivent aider ceux dans la poursuite de la piété, et il part comment les individus devraient se rapporter les uns aux autres, l'autorité, et les invités. Saint Benoît explique les responsabilités du Abbott, ou le chef de la communauté, qui a pris soin repose le bien-être des membres de la communauté. La Règle de saint Benoît fournit des conseils concrets sur la façon dont une communauté de chrétiens peut cultiver âmes satisfaits qui sont modestes et l'abri du besoin. Ce livre contient un ensemble complet de principes pour ceux qui souhaitent se développer dans l'amour de Dieu en se engageant collectivement dans des disciplines comme le Christ.
Emmalon Davis
CCEL Staff Writer

Sujets: Confessions Chrétiennes
Église Catholique Romaine
Le monachisme. Les ordres religieux
Les ordres religieux des hommes



 

Contents

 

PROLOGUE

Ecoute, mon fils, les préceptes du Maître et prête l'oreille de ton cœur. Reçois volontiers l'enseignement d'un si bon père et mets-le en pratique, afin de retourner par le labeur de l'obéissance à celui dont t'avait éloigné la lâcheté de la désobéissance. C'est à toi donc maintenant que s'adresse ma parole, à toi, qui que tu sois, qui renonces à tes volontés propres et prends les fortes et nobles armes de l'obéissance, afin de combattre pour le Seigneur Christ, notre véritable Roi.

Avant tout, demande-lui par une très instante prière qu'il mène à bonne fin tout bien que tu entreprennes; ainsi, après avoir daigné nous admettre au nombre de ses enfants, il n'aura pas sujet, un jour, de s'affliger de notre mauvaise conduite. Car, en tout temps, il faut avoir un tel soin d'employer à son service les biens qu'il a mis en nous, que non seulement il n'ait pas lieu, comme un père offensé, de priver ses fils de leur héritage, mais encore qu'il ne soit pas obligé, comme un maître redoutable et irrité de nos méfaits, de nous livrer à la punition éternelle, tels de très mauvais serviteurs qui n'auraient pas voulu le suivre jusqu'à la gloire.

Levons-nous donc, enfin, l'Ecriture nous y incite: "L'heure est venue, dit-elle, de sortir de notre sommeil."(Rm 13,11) Ouvrons les yeux à la lumière divine. Ayons les oreilles attentives à la voix de Dieu qui nous crie chaque jour cet avertissement: 1"Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs",(Ps 94,8) et ailleurs: "Qui a des oreilles entende ce que l'Esprit dit aux Eglises."(Ap 2,7) Et que dit-il? "Venez, mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur.(Ps 33,12) Courez pendant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous saisissent."(Jn 12,35)

Le Seigneur, cherchant son ouvrier dans la foule du peuple à laquelle il crie, dit encore: "Quel est l'homme qui veut la vie et désire voir des jours heureux?"(Ps 33,13) Que si, à cette demande, tu lui réponds: "C'est moi", Dieu te réplique: "Si tu veux avoir la vie véritable et éternelle, interdis le mal à ta langue et à tes lèvres toute parole trompeuse; détourne-toi du mal et fais le bien; cherche la paix avec ardeur et persévérance.(Ps 33,14-15) Et lorsque vous agirez de la sorte, mes yeux seront sur vous et mes oreilles attentives à vos prières, et avant même que vous ne m'invoquiez, je vous dirai: 'Me voici'"(cf. Ps 33,16 ; Is 58,9) Quoi de plus doux, frères très chers, que cette voix du Seigneur qui nous invite? Voyez comme le Seigneur lui-même, dans sa bonté, nous montre le chemin de la vie.

Ceignons donc nos reins de la foi et de la pratique des bonnes œuvres; sous la conduite de l'Evangile, avançons dans ses chemins, afin de mériter de voir Celui qui nous a appelés dans son royaume.(cf. Ep 6,14-15 ; Lc 12,35 ; 1 Th 2,12) Si nous voulons habiter dans la demeure de ce royaume, sachons qu'on n'y parvient que si l'on y court par les bonnes actions. Mais interrogeons le Seigneur en lui disant avec le prophète: "Seigneur, qui habitera dans ta demeure? Qui reposera sur ta montagne sainte?"(Ps 14,1) Après cette demande, mes frères, écoutons la réponse du Seigneur; il nous montre la route de cette demeure en disant: "C'est celui qui marche sans tache et accomplit la justice; celui qui dit la vérité du fond de son cœur, qui n'a pas prononcé de parole trompeuse, qui n'a pas fait de tort à son prochain, qui n'a pas accueilli des discours injurieux contre lui."(Ps 14,2-3) C'est celui qui rejette loin des regards de son cœur l'esprit malin qui le tente, et les suggestions qu'il lui souffle, les réduit à rien, saisit les premiers rejetons de la pensée diabolique et les brise contre le Christ.(cf. Ps 14,4) Ce sont ceux qui, craignant le Seigneur, ne s'enorgueillissent pas de leur bonne observance, mais qui, reconnaissant que le bien qui se trouve en eux ne peut venir d'eux-mêmes mais du Seigneur, glorifient le Seigneur qui agit en eux, et lui disent avec le prophète: "Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne la gloire."(cf. Ps 14,4 ; Ps 113,1) De même l'apôtre Paul ne s'est rien attribué du succès de sa prédication, mais dit: "C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis",(1 Co 15,10) et encore: "Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur."(2 Co 10,17)

Aussi le Seigneur dit dans l'Evangile: "Celui qui écoute mes paroles et les accomplit, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre; les fleuves ont débordé, les vents ont soufflé et se sont déchaînés sur cette maison; mais elle n'est point tombée, parce qu'elle était fondée sur la pierre."(Mt 7,24-25)

Pour achever, le Seigneur attend de nous que nous répondions chaque jour par nos œuvres à ses saintes leçons. S'il prolonge comme une trêve les jours de notre vie, c'est pour l'amendement de nos péchés, selon cette parole de l'Apôtre: "Ignores-tu que la patience de Dieu te convie à la pénitence?"(Rm 2,4) Car ce doux Seigneur affirme: "Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive."(Ez 33,11)

Lorsque nous avons demandé au Seigneur, mes frères, qui habitera dans sa demeure, nous avons appris ce qu'il faut faire pour y demeurer. Puissions-nous accomplir ce qui est exigé de cet habitant!

Il faut donc préparer nos cœurs et nos corps aux combats de la sainte obéissance à ses commandements. Quant à ce qui manque en nous aux forces de la nature, prions le Seigneur d'ordonner à sa grâce de nous prêter son aide. Et si, désireux d'éviter les peines de l'enfer, nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu'il en est temps encore et que nous sommes en ce corps et que nous pouvons accomplir tout cela à la lumière de cette vie, courons et faisons, dès ce moment, ce qui nous profitera pour toute l'éternité.

C'est à cette fin que nous voulons fonder une école où l'on serve le Seigneur. Dans cette institution, nous espérons ne rien établir de rude ni de pesant. Si, toutefois, il s'y rencontrait quelque chose d'un peu rigoureux, qui fût imposé par l'équité pour corriger nos vices et sauvegarder la charité, garde-toi bien, sous l'effet d'une crainte subite, de quitter la voie du salut dont les débuts sont toujours difficiles. En effet, à mesure que l'on progresse dans la vie religieuse et dans la foi, le cœur se dilate, et l'on court dans la voie des commandements de Dieu, avec la douceur ineffable de l'amour. Ne nous écartant donc jamais de son enseignement, et persévérant jusqu'à la mort dans sa doctrine au sein du monastère, participons par la patience aux souffrances du Christ pour mériter d'avoir part à son royaume. Amen.

Chapitre I. LES CATÉGORIES DE MOINES

L'abbé qui est jugé digne de gouverner le monastère doit se rappeler sans cesse le titre qu'il porte et réaliser par ses actes le nom de supérieur. On croit fermement, en effet, qu'il tient la place du Christ dans le monastère, puisqu'on l'appelle de son nom même, selon ces paroles de l'Apôtre: "Vous avez reçu l'esprit des fils d'adoption, par lequel nous crions: Abba, c'est-à-dire Père".(Rm 8,15 ; Ga 4,6)

L'abbé ne doit donc rien enseigner, établir ou commander qui s'écarte des préceptes du Seigneur; mais ses ordres et son enseignement doivent se répandre dans l'esprit de ses disciples, comme un levain de la divine justice. L'abbé doit se souvenir sans cesse qu'au redoutable jugement de Dieu, il devra rendre un compte exact de deux choses: de son enseignement et de l'obéissance de ses disciples. Qu'il sache que l'on imputera à la faute du pasteur tout ce que le Père de famille trouvera de mécompte dans ses brebis. Au contraire, c'est pour autant qu'il aura consacré toute sa sollicitude pastorale à un troupeau turbulent et indocile, et dépensé tous ses soins pour guérir leurs maladies spirituelles, que lui-même sera absous au jugement du Seigneur et pourra lui dire avec le prophète: "Je n'ai point caché ta justice, dans mon cœur: je leur ai dit ta vérité et ton salut, mais ils n'en ont fait aucun cas et ils m'ont méprisé."(Ps 39,11 ; Is 1,2 ; Ez 20,27) Alors, en punition, la mort frappera ces brebis qui ont été rebelles aux soins de leur pasteur.

Celui qui accepte le nom d'abbé doit donc gouverner ses disciples par un double enseignement, c'est-à-dire leur montrer tout ce qui est bon et saint par des actes plus encore que par des paroles. Aux disciples réceptifs, il enseignera par ses paroles les commandements du Seigneur; aux cœurs durs et aux simples, il les fera voir par son exemple. C'est aussi par ses actes qu'il apprendra à ses disciples à éviter ce qu'il leur aura dénoncé comme contraire à la loi divine, de peur qu'après avoir prêché aux autres, il ne soit lui-même réprouvé (cf. 1 Co 9,27) et que Dieu ne lui dise un jour à cause de ses péchés: "Pourquoi proclames-tu mes lois et déclares-tu mon alliance par ta bouche, alors que tu hais la discipline et que tu as rejeté mes paroles?"(Ps 49,16-17) Et encore: "Toi qui voyais un fétu dans l'œil de ton frère, tu n'a pas vu la poutre dans le tien."(Mt 7,3)

Que l'abbé ne fasse point acception des personnes dans le monastère. Qu'il n'aime point l'un plus que l'autre, si ce n'est celui qu'il trouvera plus avancé dans les bonnes actions et l'obéissance. L'homme libre ne sera pas préféré à celui qui sera venu de l'esclavage, à moins qu'il n'y ait à cela une autre cause raisonnable. Si l'abbé juge, pour un juste motif, pouvoir faire cette distinction, qu'il en use ainsi à l'égard de chacun, de quelque condition qu'il soit; hormis le cas susdit, que chacun garde sa place! Car, libres ou esclaves, nous sommes tous un dans le Christ, et nous portons tous les mêmes armes, au service d'un même Seigneur.(Ga 3,28 ; Ep 6,8 ; Rm 2,11) "Auprès de Dieu, en effet, il n'y a pas acception de personnes."(Col 3,25) La seule chose qui nous distingue à ses yeux, c'est le fait d'être plus riches que d'autres en bonnes œuvres et en humilité. L'abbé témoignera donc à tous une égale charité; et il n'y aura pour tous qu'une même discipline, appliquée selon les mérites de chacun.

Dans son enseignement, l'abbé doit suivre toujours le modèle que lui donne l'Apôtre quand il dit: "Reprends, supplie, menace."(2 Tm 4,2) Ainsi doit-il varier sa manière selon les circonstances, mêlant douceurs et menaces, montrant tantôt la sévérité d'un maître, tantôt la tendresse d'un père. Ainsi, encore, reprendra-t-il plus durement les indociles et les turbulents; il suppliera de progresser ceux qui sont obéissants, doux et patients; quant aux négligents et aux rebelles, nous l'avertissons de les menacer et de les corriger. Qu'il ne ferme pas les yeux sur les péchés des délinquants. Mais qu'il les retranche autant qu'il le pourra, jusque dans les racines, aussitôt qu'il les verra naître, se souvenant du malheur d'Héli, grand-prêtre de Silo. Pour ce qui est des âmes plus délicates et intelligentes, il lui suffira de les reprendre une fois ou deux par des admonitions; tandis qu'il doit punir par des verges et autres châtiments corporels les méchants, les opiniâtres, les superbes et les désobéissants, et cela dès qu'ils commenceront à mal faire, sachant qu'il est écrit: "L'insensé ne se corrige point par des paroles"(Pr 29,19); et encore: "Frappe des verges ton fils et tu délivreras son âme de la mort."(Pr 23,14)

L'abbé doit toujours se rappeler ce qu'il est, se rappeler le titre qu'il porte; savoir qu'il est exigé davantage à qui a été confié davantage. Qu'il considère combien difficile et laborieuse est la charge qu'il a reçue de conduire des âmes et de s'accommoder aux caractères d'un grand nombre. Tel a besoin d'être conduit par les caresses, tel autre par les remontrances, tel encore par la persuasion. L'abbé doit donc se conformer et s'adapter aux dispositions et à l'intelligence de chacun, en sorte qu'il puisse, non seulement préserver de tout dommage le troupeau qui lui est confié, mais encore se réjouir de l'accroissement de ce bon troupeau.

Avant tout qu'il se garde de négliger ou de compter pour peu le salut des âmes qui lui sont confiées, sans donner plus de soins aux choses passagères, terrestres et caduques. Qu'il pense sans cesse que ce sont des âmes qu'il a reçues à conduire et qu'il devra en rendre compte. Et, de peur qu'il ne se préoccupe à l'excès de la modicité des ressources du monastère, il se rappellera qu'il est écrit: "Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice: le reste vous sera donné par surcroît"(Mt 6,33); et encore: "Rien ne manque à ceux qui Le craignent."(Ps 33,10)

Qu'il sache donc bien que ce sont des âmes qu'il a reçues à conduire; qu'il soit prêt à en rendre compte. Quel que soit le nombre des frères placés sous sa garde, qu'il sache avec certitude qu'au jour du jugement il devra rendre compte au Seigneur de toutes ces âmes, et de plus, sans nul doute, de la sienne propre. Vivant ainsi dans la crainte constante de cet examen qui attend le pasteur au sujet de ses brebis, c'est le souci même des comptes dus pour autrui qui le rendra attentif sur lui-même, et, en corrigeant les autres par ses avis, il se corrigera de ses propres défauts.

Chapitre II. LES QUALITÉS QUE DOIT AVOIR L'ABBE

L'abbé qui est jugé digne de gouverner le monastère doit se rappeler sans cesse le titre qu'il porte et réaliser par ses actes le nom de supérieur. On croit fermement, en effet, qu'il tient la place du Christ dans le monastère, puisqu'on l'appelle de son nom même, selon ces paroles de l'Apôtre: "Vous avez reçu l'esprit des fils d'adoption, par lequel nous crions: Abba, c'est-à-dire Père".(Rm 8,15 ; Ga 4,6)

L'abbé ne doit donc rien enseigner, établir ou commander qui s'écarte des préceptes du Seigneur; mais ses ordres et son enseignement doivent se répandre dans l'esprit de ses disciples, comme un levain de la divine justice. L'abbé doit se souvenir sans cesse qu'au redoutable jugement de Dieu, il devra rendre un compte exact de deux choses: de son enseignement et de l'obéissance de ses disciples. Qu'il sache que l'on imputera à la faute du pasteur tout ce que le Père de famille trouvera de mécompte dans ses brebis. Au contraire, c'est pour autant qu'il aura consacré toute sa sollicitude pastorale à un troupeau turbulent et indocile, et dépensé tous ses soins pour guérir leurs maladies spirituelles, que lui-même sera absous au jugement du Seigneur et pourra lui dire avec le prophète: "Je n'ai point caché ta justice, dans mon cœur: je leur ai dit ta vérité et ton salut, mais ils n'en ont fait aucun cas et ils m'ont méprisé."(Ps 39,11 ; Is 1,2 ; Ez 20,27) Alors, en punition, la mort frappera ces brebis qui ont été rebelles aux soins de leur pasteur.

Celui qui accepte le nom d'abbé doit donc gouverner ses disciples par un double enseignement, c'est-à-dire leur montrer tout ce qui est bon et saint par des actes plus encore que par des paroles. Aux disciples réceptifs, il enseignera par ses paroles les commandements du Seigneur; aux cœurs durs et aux simples, il les fera voir par son exemple. C'est aussi par ses actes qu'il apprendra à ses disciples à éviter ce qu'il leur aura dénoncé comme contraire à la loi divine, de peur qu'après avoir prêché aux autres, il ne soit lui-même réprouvé (cf. 1 Co 9,27) et que Dieu ne lui dise un jour à cause de ses péchés: "Pourquoi proclames-tu mes lois et déclares-tu mon alliance par ta bouche, alors que tu hais la discipline et que tu as rejeté mes paroles?"(Ps 49,16-17) Et encore: "Toi qui voyais un fétu dans l'œil de ton frère, tu n'a pas vu la poutre dans le tien."(Mt 7,3)

Que l'abbé ne fasse point acception des personnes dans le monastère. Qu'il n'aime point l'un plus que l'autre, si ce n'est celui qu'il trouvera plus avancé dans les bonnes actions et l'obéissance. L'homme libre ne sera pas préféré à celui qui sera venu de l'esclavage, à moins qu'il n'y ait à cela une autre cause raisonnable. Si l'abbé juge, pour un juste motif, pouvoir faire cette distinction, qu'il en use ainsi à l'égard de chacun, de quelque condition qu'il soit; hormis le cas susdit, que chacun garde sa place! Car, libres ou esclaves, nous sommes tous un dans le Christ, et nous portons tous les mêmes armes, au service d'un même Seigneur.(Ga 3,28 ; Ep 6,8 ; Rm 2,11) "Auprès de Dieu, en effet, il n'y a pas acception de personnes."(Col 3,25) La seule chose qui nous distingue à ses yeux, c'est le fait d'être plus riches que d'autres en bonnes œuvres et en humilité. L'abbé témoignera donc à tous une égale charité; et il n'y aura pour tous qu'une même discipline, appliquée selon les mérites de chacun.

Dans son enseignement, l'abbé doit suivre toujours le modèle que lui donne l'Apôtre quand il dit: "Reprends, supplie, menace."(2 Tm 4,2) Ainsi doit-il varier sa manière selon les circonstances, mêlant douceurs et menaces, montrant tantôt la sévérité d'un maître, tantôt la tendresse d'un père. Ainsi, encore, reprendra-t-il plus durement les indociles et les turbulents; il suppliera de progresser ceux qui sont obéissants, doux et patients; quant aux négligents et aux rebelles, nous l'avertissons de les menacer et de les corriger. Qu'il ne ferme pas les yeux sur les péchés des délinquants. Mais qu'il les retranche autant qu'il le pourra, jusque dans les racines, aussitôt qu'il les verra naître, se souvenant du malheur d'Héli, grand-prêtre de Silo. Pour ce qui est des âmes plus délicates et intelligentes, il lui suffira de les reprendre une fois ou deux par des admonitions; tandis qu'il doit punir par des verges et autres châtiments corporels les méchants, les opiniâtres, les superbes et les désobéissants, et cela dès qu'ils commenceront à mal faire, sachant qu'il est écrit: "L'insensé ne se corrige point par des paroles"(Pr 29,19); et encore: "Frappe des verges ton fils et tu délivreras son âme de la mort."(Pr 23,14)

L'abbé doit toujours se rappeler ce qu'il est, se rappeler le titre qu'il porte; savoir qu'il est exigé davantage à qui a été confié davantage. Qu'il considère combien difficile et laborieuse est la charge qu'il a reçue de conduire des âmes et de s'accommoder aux caractères d'un grand nombre. Tel a besoin d'être conduit par les caresses, tel autre par les remontrances, tel encore par la persuasion. L'abbé doit donc se conformer et s'adapter aux dispositions et à l'intelligence de chacun, en sorte qu'il puisse, non seulement préserver de tout dommage le troupeau qui lui est confié, mais encore se réjouir de l'accroissement de ce bon troupeau.

Avant tout qu'il se garde de négliger ou de compter pour peu le salut des âmes qui lui sont confiées, sans donner plus de soins aux choses passagères, terrestres et caduques. Qu'il pense sans cesse que ce sont des âmes qu'il a reçues à conduire et qu'il devra en rendre compte. Et, de peur qu'il ne se préoccupe à l'excès de la modicité des ressources du monastère, il se rappellera qu'il est écrit: "Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice: le reste vous sera donné par surcroît"(Mt 6,33); et encore: "Rien ne manque à ceux qui Le craignent."(Ps 33,10)

Qu'il sache donc bien que ce sont des âmes qu'il a reçues à conduire; qu'il soit prêt à en rendre compte. Quel que soit le nombre des frères placés sous sa garde, qu'il sache avec certitude qu'au jour du jugement il devra rendre compte au Seigneur de toutes ces âmes, et de plus, sans nul doute, de la sienne propre. Vivant ainsi dans la crainte constante de cet examen qui attend le pasteur au sujet de ses brebis, c'est le souci même des comptes dus pour autrui qui le rendra attentif sur lui-même, et, en corrigeant les autres par ses avis, il se corrigera de ses propres défauts.

Chapitre III. L'APPEL DES FRÈRES EN CONSEIL

Toutes les fois qu'il y aura dans le monastère quelque affaire importante à décider, l'abbé convoquera toute la communauté et exposera lui-même ce dont il s'agit. Après avoir recueilli l'avis des frères, il délibérera à part soi et fera ensuite ce qu'il aura jugé le plus utile. Ce qui nous fait dire qu'il faut consulter tous les frères, c'est que souvent Dieu révèle à un plus jeune ce qui est meilleur.

Les frères donneront leur avis en toute humilité et soumission. Ils n'auront donc pas la hardiesse de soutenir effrontément leur manière de voir, mais il dépendra de l'abbé de décider ce qu'il jugera le mieux; et tous alors devront lui obéir. Cependant, comme il convient aux disciples d'obéir au maître, ainsi revient-il au maître de tout organiser avec prévoyance et équité. En toutes choses, donc, tous suivront cette maîtresse qu'est la Règle, et personne ne se permettra de s'en écarter à la légère. Que nul dans le monastère ne suive la volonté de son propre cœur; que nul n'ait la hardiesse de contester avec son abbé insolemment, ou hors du monastère. Si quelqu'un avait cette hardiesse il serait soumis à la correction régulière. L'abbé, toutefois, doit faire toutes choses dans la crainte de Dieu et selon la Règle, persuadé que, sans doute aucun, il aura à rendre compte de toutes ses décisions à Dieu, ce juge souverainement équitable.

Pour les affaires moins importantes qui intéressent le bien du monastère, l'abbé prendra seulement le conseil des anciens, selon ce qui est écrit: "Fais tout avec conseil, et, après coup, tu ne t'en repentiras pas."(Si 32,24)

Chapitre IV. LES INSTRUMENTS DES BONNES ŒUVRES

Avant tout, aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force.(Mc 12,30 ; Lc 10,27)
Ensuite, le prochain comme soi-même.(Mc 12,31 ; Lc 10,27)
Ensuite, ne point tuer.
Ne point commettre d'adultère.
Ne point voler.
Ne point convoiter.(Rm 13,9 ; Ex 20,17)
Ne point porter de faux témoignage.(cf. Mt 19,18-19 ; Lc 18,20) (Mc 10,19)
Honorer tous les hommes.(1 P 2,1)
Ne point faire à autrui ce qu'on ne veut pas qu'on nous fasse.(Mt 7,12 ; Tb 4,16)
Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ.(Mt 16,24 ; Lc 9,23)
Châtier son corps.(1 Co 9,27)
Ne pas embrasser les délices.
Aimer le jeûne.
Soulager les pauvres.
Vêtir qui est nu.
Visiter les malades.(Mt 25,36)
Ensevelir les morts.
Secourir qui est dans la tribulation.
Consoler les affligés.
Rompre avec les affaires du monde.
Ne rien préférer à l'amour du Christ.
Ne point se mettre en colère.
Ne point se réserver un temps pour la vengeance.
Ne pas nourrir de fausseté dans son cœur.
Ne point donner une fausse paix.
Ne jamais perdre la charité.
Ne point jurer, de peur de se parjurer.(Mt 5,33 et sv.)
Dire la vérité de cœur comme de bouche.
Ne point rendre le mal pour le mal.(1 P 3,9)
Ne pas faire d'injustice, mais supporter patiemment celles qu'on nous fait.
Aimer ses ennemis.(Mt 5,44 ; Lc 6,27)
Ne pas maudire ceux qui nous maudissent mais plutôt les bénir.(Lc 6,28 ; 1 Co 4,12)
Souffrir persécution pour la justice.
N'être point orgueilleux.
Ni adonné au vin.(Tt 1,7)
Ni grand mangeur.
Ni endormi.
Ni paresseux.(Rm 12,11)
Ni murmurateur.
Ni détracteur.
Mettre en Dieu son espérance.
Si l'on voit en soi quelque bien, l'attribuer à Dieu et non à soi-même.
Se reconnaître, au contraire, toujours comme auteur du mal qui est en soi et se l'imputer.
Craindre le jour du jugement.
Redouter l'enfer.
Désirer la vie éternelle de toute l'ardeur de l'esprit.
Avoir chaque jour la menace de la mort devant les yeux.
Veiller à toute heure sur les actions de sa vie.
Tenir pour certain qu'en tout lieu Dieu nous regarde.
Briser contre le Christ les pensées mauvaises, sitôt qu'elles naissent dans le cœur, et les découvrir à un père spirituel.
Garder sa langue de tout propos mauvais ou pernicieux.
Ne pas aimer à beaucoup parler.
Ne pas dire de paroles vaines ou qui portent à rire.
Ne point aimer le rire lourd ou bruyant.
Entendre volontiers les saintes lectures.
S'appliquer fréquemment à la prière.
Confesser chaque jour à Dieu dans la prière avec larmes et gémissements ses fautes passées, et, de plus, se corriger de ces fautes.
Ne pas accomplir les désirs de la chair.(Ga 5,16)
Haïr sa volonté propre.
Obéir en tout aux ordres de l'abbé, même si, à Dieu ne plaise, il agit autrement; se souvenant du précepte du Seigneur: "Faites ce qu'ils disent, mais ce qu'il font, ne le faites pas."(Mt 23,3)
Ne pas vouloir être appelé saint avant de l'être, mais le devenir d'abord, alors on le sera appelé avec plus de vérité.
Accomplir, tous les jours, par ses œuvres les préceptes de Dieu.
Aimer la chasteté.(Jude 15,11)
Ne haïr personne.
Ne pas avoir de jalousie.
Ne pas agir par envie.
Ne pas aimer à contester.
Fuir l'élèvement.
Vénérer les anciens.
Aimer les plus jeunes.
Par amour du Christ, prier pour ses ennemis.
Se réconcilier avant le coucher du soleil, avec qui on est en discorde.
Et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu.
Voilà quels sont les instruments de l'art spirituel. Si, jour et nuit, sans relâche, nous nous en servons, quand, au jour du jugement, nous les remettrons, le Seigneur nous donnera la récompense qu'il a promise lui-même: "Ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment."(1 Co 2,9)
Or l'atelier où nous devons travailler diligemment avec tous ces instruments, c'est le cloître du monastère avec la stabilité dans la communauté..

Chapitre V. L'OBEISSANCE

Le premier degré d'humilité est l'obéissance sans délai. Elle convient à ceux qui n'ont rien de plus cher que le Christ. Mus par le service sacré dont ils ont fait profession, ou par la crainte de l'enfer, et par le désir de la gloire de la vie éternelle, dès que le supérieur a commandé quelque chose, ils ne peuvent souffrir d'en différer l'exécution, tout comme si Dieu lui-même en avait donné l'ordre. C'est d'eux que le Seigneur dit: "Dès que son oreille a entendu, il m'a obéi."(Ps 17,45) Et il dit encore à ceux qui enseignent: "Qui vous écoute m'écoute."(Lc 10,16)

Ceux qui sont dans ces dispositions, renonçant aussitôt à leurs propres intérêts et à leur propre volonté, quittent ce qu'ils avaient en mains et laissent inachevé ce qu'ils faisaient. Ils suivent d'un pied si prompt l'ordre donné que, dans l'empressement qu'inspire la crainte de Dieu, il n'y a pas d'intervalle, toutes deux s'accomplissant au même moment. Ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle.

C'est pour cela qu'ils entrent dans la voie étroite dont parle le Seigneur, lorsqu'il dit: "Etroite est la voie qui conduit à la vie."(Mt 7,14) Aussi, ne vivant plus à leur gré et n'obéissant plus à leurs désirs ni à leurs inclinations, ils marchent au jugement et au commandement d'autrui, et désirent se soumettre à un abbé en vivant dans un monastère. Assurément les hommes de cette trempe imitent le Seigneur qui dit dans cette sentence: "Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé."(Jn 6,38)
Mais cette obéissance ne sera bien reçue de Dieu et agréable aux hommes, que si l'ordre est exécuté sans trouble, sans retard, sans tiédeur, sans murmure, sans parole de résistance. Car l'obéissance rendue aux supérieurs, c'est à Dieu qu'on la rend, puisqu'il a dit: "Qui vous écoute m'écoute."(Lc 10,16) Et c'est de bon cœur que les disciples doivent obéir parce que "Dieu aime celui qui donne joyeusement."(2 Co 9,7)

Si, au contraire, le disciple obéit, mais s'il le fait de mauvais gré, s'il murmure non seulement de bouche mais encore dans son cœur, même s'il exécute l'ordre reçu, cet acte ne sera pas agréé de Dieu, qui voit le murmure dans sa conscience. Bien loin d'en être récompensé, il encourt la peine des murmurateurs, s'il ne se corrige et ne fait satisfaction.

Chapitre VI. LA RETENUE DANS LE LANGAGE

Faisons ce que dit le Prophète: "J'ai résolu de surveiller toutes mes voies, pour ne pas pécher par ma langue; j'ai placé une garde à ma bouche, je me suis tu et humilié, et je me suis abstenu même de parler de choses bonnes."(Ps 38,2-3) Le prophète nous montre par là que, si l'on doit quelquefois s'interdire de bons discours par amour du silence, à plus forte raison faut-il retrancher les paroles mauvaises pour éviter la peine due au péché.

C'est pourquoi, étant donné l'importance du silence, on n'accordera que rarement aux disciples, fussent-ils parfaits, la permission de parler même de choses bonnes, saintes et édifiantes. Il est écrit, en effet: "Tu n'éviteras pas le péché en parlant beaucoup;"(Pr 10,19) et ailleurs: "La mort et la vie sont au pouvoir de la langue."(Pr 18,21) De fait, s'il appartient au maître de parler et d'enseigner, il convient au disciple de se taire et d'écouter.

En conséquence, s'il faut demander quelque chose au supérieur, on le fera en toute humilité, soumission et respect. Quant aux bouffonneries, aux paroles oiseuses et qui portent à rire, nous les bannissons pour jamais et en tout lieu, et nous ne permettons pas au disciple d'ouvrir la bouche pour de tels propos.

Chapitre VII. L'HUMILITE

La divine Ecriture, mes frères, nous crie: "Quiconque s'élève sera humilié, et qui s'humilie sera élevé."(Lc 14,11 ; 18,14 ; Mt 23,12) En parlant ainsi, elle nous montre que tout élèvement est une espèce d'orgueil; et c'est ce dont le Prophète déclare se garder, lorsqu'il dit: "Seigneur, mon cœur ne s'est point élevé et mes yeux ne se sont pas levés: je n'ai point marché dans les grandeurs ni dans des merveilles au-dessus de moi." Mais que m'arriverait-il "si je n'avais pas eu d'humbles sentiments, si j'avais élevé mon âme? Tu me traiterais comme l'enfant qu'on enlève du sein de sa mère."(Ps 130,1-2)

Si donc, mes frères, nous voulons atteindre au sommet de l'humilité parfaite, et parvenir rapidement à cette hauteur céleste, à laquelle on monte par l'humilité dans la vie présente, il nous faut dresser et monter par nos actions cette échelle qui apparut en songe à Jacob. Il y voyait des anges descendre et monter. Cette descente et cette montée assurément ne signifient pas autre chose pour nous sinon que l'on descend par l'élèvement et que l'on monte par l'humilité. L'échelle en question, c'est notre vie en ce monde, que le Seigneur dresse vers le Ciel, si notre cœur s'humilie. Les côtés de cette échelle figurent notre corps et notre âme; sur ces côtés, l'appel divin a disposé divers degrés d'humilité et de perfection à gravir.

Voici donc le premier degré d'humilité: se remettant toujours devant les yeux la crainte de Dieu, il consiste à fuir toute négligence et à se rappeler sans cesse tout ce que Dieu a commandé. On repassera constamment dans son esprit, d'une part, comment la géhenne brûle, pour leurs péchés, ceux qui méprisent Dieu, et comment, d'autre part, la vie éternelle récompense ceux qui le craignent. Se gardant, à toute heure, des péchés et des vices des pensées, de la langue, des mains, des pieds et de la volonté propre, ainsi que des désirs de la chair, l'homme estimera que Dieu, du haut du ciel, le regarde à tout moment, qu'en tout lieu le regard de la divinité voit ses actes et que les anges les lui rapportent à tout moment.

Le Prophète nous le révèle, lorsqu'il affirme que Dieu est toujours présent à nos pensées: "Dieu scrute les cœurs et les reins"; (Ps 7,10) et de même: "Le Seigneur connaît les pensées des hommes", (Ps 93,11) et encore: "Tu as compris de loin mes pensées", (Ps 138,3) et: "La pensée de l'homme te sera découverte." (Ps 75,11) Aussi, pour être vigilant sur ses pensées perverses, le vrai moine répétera toujours dans son cœur: "Je serai sans tache devant lui, si je me tiens en garde contre mon iniquité."(Ps 17,24)

Quant à notre volonté propre, il nous est défendu de la faire par ces termes de l'Ecriture: "Renonce à tes volontés", (Si 18,30) et, de plus, nous demandons à Dieu dans l'oraison dominicale que sa volonté se fasse en nous. (Mt 6,10)

C'est donc avec raison qu'on nous enseigne de ne pas faire notre volonté. Par là nous prenons garde à ce que dit l'Ecriture: "Il y a des voies qui semblent droites aux hommes et dont le terme aboutit au fond de l'enfer"; (Pr 16,25) par là encore nous nous préservons de ce qui est dit des négligents: "Ils se sont corrompus et se sont rendus abominables par leurs passions."(Ps 13,1) Quant aux désirs de la chair, croyons aussi fermement que Dieu nous est toujours présent, suivant la parole du Prophète au Seigneur: "Tous mes désirs sont devant toi."(Ps 37,10)

Il faut par conséquent se garder du désir mauvais, parce que la mort est placée à l'entrée même du plaisir. C'est pourquoi l'Ecriture nous donne ce commandement: "Tu ne suivras pas tes convoitises". (Si 18,30)

Si, donc, les yeux du Seigneur considèrent les bons et les méchants, (Pr 15,3) si, du haut du ciel, le Seigneur regarde continuellement les enfants des hommes, pour voir "s'il en est un qui ait l'intelligence et qui cherche Dieu"; (Ps 13,2) si, enfin, les anges, commis à notre garde, lui rapportent quotidiennement, jour et nuit, nos actions, concluons, mes frères, qu'à toute heure nous devons être vigilants. Craignons, en effet, que, selon la parole du Psalmiste, Dieu ne nous surprenne à quelque moment dévoyés dans le péché et devenus mauvais. (Ps 13,3) S'il use d'indulgence en ce temps-ci, parce qu'il est bon et attend que nous nous corrigions, redoutons qu'il ne nous dise un jour: "Tu as fait cela et je me suis tu."(Ps 49,21 ; Si 2,13) Voici le deuxième degré d'humilité: ne pas aimer sa volonté propre, ni se complaire dans l'accomplissement de ses désirs, mais bien plutôt imiter dans sa conduite cette parole du Seigneur: "Je ne suis pas venu faire ma volonté mais celle de celui qui m'a envoyé." (Jn 6,38) L'Ecriture dit encore: "Le plaisir encourt la peine, l'effort procure la couronne." Tel est le troisième degré d'humilité: se soumettre au supérieur en toute obéissance, pour l'amour de Dieu, à l'imitation du Seigneur, dont l'Apôtre dit: "Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort". (Ph 2,8)

Voici le quatrième degré d'humilité: la conscience embrasse la patience, au point d'obéir silencieusement, quelque durs et contrariants que soient les ordres reçus, et fût-on même victime de toutes sortes d'injustices; on supporte, sans se lasser ni reculer, car l'Ecriture dit: "Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé", (Mt 10,22) et ailleurs: "Prends courage et supporte le Seigneur."(Ps 26,14) Et pour nous montrer que le serviteur fidèle doit tout supporter pour le Seigneur, même les adversités, l'Ecriture dit au nom de ceux qui souffrent: "C'est pour toi que nous sommes livrés à la mort durant tout le jour; nous sommes considérés comme des brebis de boucherie."(Ps 43,23 ; Rm 8,36) Et ceux qu'anime l'espoir assuré de la récompense divine, ajoutent avec joie: "Mais en toutes ces épreuves nous remportons la victoire, grâce à celui qui nous a aimés."(Rm 8,37) L'Ecriture dit encore en un autre endroit: "Tu nous as éprouvés, ô Dieu, tu nous as fait passer par le feu, comme on fait passer l'argent par le feu; tu nous as pris dans le filet, tu as amassé les tribulations sur nos épaules."(Ps 65,10-11) Et pour nous apprendre que nous devons vivre sous un supérieur, elle ajoute: "Tu as établi des hommes sur nos têtes."(Ps 65,12)

Ainsi par la patience dans les adversités et les injustices, les humbles pratiquent le précepte du Seigneur: si on les frappe sur une joue, ils tendent l'autre; si on leur ôte leur tunique, ils abandonnent aussi leur manteau; si on les contraint de faire un mille, ils en font deux; (Mt 5,39-41) avec l'apôtre Paul, ils supportent les faux frères, et ils bénissent ceux qui les maudissent.(2 Co 11,26 ; 1 Co 4,12)

Voici le cinquième degré d'humilité: découvrir à son abbé, par un humble aveu, toutes les pensées mauvaises qui viennent à l'âme ainsi que les fautes qu'on aurait commises en secret. L'Ecriture nous exhorte à cette pratique lorsqu'elle dit: "Révèle ta conduite au Seigneur et espère en lui;"(Ps 36,5) et encore: "Confessez-vous au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est à jamais."(Ps 105,1 ; Ps 117,1) De même le Prophète: "Je t'ai fait connaître mon péché, et je n'ai pas caché mon iniquité; j'ai dit: je proclamerai contre moi mes transgressions au Seigneur, et tu m'as pardonné l'impiété de mon cœur."(Ps 31,5)

Voici le sixième degré d'humilité: le moine se trouve satisfait de tout ce qu'il y a de vil et de bas; en toutes les occupations qu'on lui donne, il s'estime comme un ouvrier incapable et indigne d'y réussir, disant avec le Prophète: "J'ai été réduit à rien et je ne sais rien; je suis devenu comme une bête de somme devant toi et je suis toujours avec toi."(Ps 72,22-23) Voici le septième degré d'humilité: non seulement se proclamer des lèvres le dernier et le plus vil de tous, mais aussi le croire fermement du fond de son cœur, s'humiliant et disant avec le Prophète: "Pour moi je suis un ver et non un homme; je suis l'opprobre des hommes et le rebut du peuple; (Ps 21,7) 53j'ai été élevé, puis humilié et couvert de confusion."(Ps 87,16) Et ailleurs: "Il m'est bon d'avoir été humilié par toi, afin que j'apprenne tes commandements."(Ps 118,71,73)

Voici le huitième degré d'humilité: le moine ne fait rien que ce qui est prescrit par la règle commune du monastère et conseillé par les exemples des Pères. Voici le neuvième degré d'humilité: le moine défend à sa langue de parler et, pratiquant la retenue dans ses paroles, garde le silence jusqu'à ce qu'on l'interroge. Selon l'enseignement de l'Ecriture, en effet, "on ne saurait éviter le péché en parlant beaucoup", (Pr 10,19) et "le bavard ne marche pas droit sur la terre."(Ps 139,12)

Voici le dixième degré d'humilité: n'être ni enclin ni prompt à rire, car il est écrit: "Le sot, en riant, élève la voix."(Si 21,23)

Voici le onzième degré d'humilité: le moine, dans ses propos, s'exprime doucement et sans rire, humblement et avec gravité, brièvement et raisonnablement, évitant les éclats de voix, ainsi qu'il est écrit: "On reconnaît le sage à la sobriété de son langage."

Voici le douzième degré d'humilité: le moine non seulement possède cette vertu dans son cœur, mais encore la manifeste au dehors par son attitude. A l'Œuvre de Dieu, à l'oratoire, dans le monastère, au jardin, en chemin, aux champs, qu'il soit assis, en marche ou debout, il aura toujours la tête inclinée, le regard fixé à terre; se sentant à toute heure chargé de ses péchés, il se voit déjà traduit devant le tribunal redoutable de Dieu, et répète toujours dans son cœur ce que le publicain de l'Evangile disait, les yeux fixés à terre: "Seigneur, je ne suis pas digne, moi pécheur, de lever les yeux vers le ciel"; (Lc 18,13 ; Mt 8,8) et encore avec le Prophète: "Je me tiens courbé et humilié de toute manière."(Ps 3,9)

Après avoir gravi tous ces degrés d'humilité, le moine parviendra bientôt à cet amour de Dieu, qui, devenu parfait, bannit la crainte. (1 Jn 4,18) Grâce à cet amour, il accomplira sans peine, comme naturellement et par habitude, ce qu'auparavant il n'observait qu'avec frayeur. Il n'agira plus sous la menace de l'enfer, mais par amour du Christ, par l'accoutumance même du bien et par l'attrait des vertus.

Voilà ce que le Seigneur daignera manifester dans son serviteur, purifié de ses défauts et de ses péchés, grâce à l'Esprit-Saint.

Chapitre VIII. LES OFFICES DIVINS DANS LA NUIT

Durant l'hiver, c'est-à-dire du I er novembre à Pâques, on se lèvera à la huitième heure de la nuit; la prudence le demande ainsi; de la sorte on se sera reposé un peu plus de la moitié de la nuit et la digestion sera terminée au réveil. Le temps qui reste après les Vigiles sera employé à l'étude du Psautier ou des leçons, par les frères du moins qui en ont besoin.
De Pâques au I er novembre, on réglera l'horaire de telle sorte que les Vigiles, après un court intervalle pendant lequel les frères sortiront pour les nécessités de la nature, soient suivies immédiatement des Laudes, qui doivent être chantées au point du jour.

Chapitre IX. COMBIEN IL FAUT DIRE DE PSAUMES AUX HEURES DE NUIT

Au temps d'hiver, dont il a été parlé, on dira d'abord trois fois le verset: "Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange."(Ps 50,17) On ajoutera le psaume trois et le Gloria; ensuite le psaume quatre-vingt-quatorze avec antienne, ou, du moins, chanté. Puis, suivent l'hymne et six psaumes avec antiennes. Ceci achevé et après le verset, l'abbé donnera la bénédiction. Puis, tous étant assis sur leurs bancs, les frères liront, à tour de rôle, dans le livre de chœur, sur le pupitre, trois leçons. Après chacune d'elles, on chantera un répons. Les deux premiers répons se diront sans Gloria, mais après la troisième leçon, celui qui chante dira le Gloria. Au moment où le chantre le commence, tous se lèveront de leurs sièges par honneur et révérence envers la Sainte Trinité.

Aux Vigiles, on lira les livres d'autorité divine tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, ainsi que les commentaires qui en ont été donnés par les Pères catholiques qualifiés pour leur orthodoxie.

Après ces trois leçons accompagnées de leurs répons, on chantera six autres psaumes avec Alleluia. Suivront: une leçon de l'Apôtre, qui doit être récitée par cœur, le verset, et la prière de la litanie, c'est-à-dire Kyrie eleison. Ainsi se terminera l'office de la nuit.

Chapitre X. COMMENT CELEBRER EN FETE LA LOUANGE DIVINE

Depuis Pâques jusqu'au I er novembre on conservera le nombre de psaumes fixé plus haut. Toutefois, à cause de la brièveté des nuits, on ne lira pas de leçons dans le livre de chœur; mais à la place des trois leçons, on en dira une, de mémoire, tirée de l'Ancien Testament. Elle sera suivie d'un répons bref. Tout le reste se fera comme il a été réglé ci-dessus. On ne dira jamais moins de douze psaumes aux Vigiles, non compris les psaumes trois et quatre-vingt-quatorze.

Chapitre XI. COMMENT CELEBRER LES VIGILES LE DIMANCHE

Le dimanche, on se lèvera pour les Vigiles plus tôt que les autres jours. Voici l'ordre à suivre. Après avoir chanté, comme nous l'avons disposé ci-dessus, six psaumes et le verset, tous les frères s'assiéront sur les bancs, en ordre et selon leur rang. On lira dans le livre, ainsi que nous l'avons déjà dit, quatre leçons avec leurs répons. Au quatrième répons seulement le chantre dira le Gloria. Dès le début de celui-ci, tous se lèveront avec révérence.

Après les leçons, six autres psaumes suivront d'affilée, avec leurs antiennes, comme les précédents, puis le verset. Après quoi, on lira de nouveau quatre leçons avec leurs répons, selon l'ordre fixé plus haut. On dira ensuite trois cantiques tirés des Prophètes et déterminés par l'abbé. On les chantera avec Alleluia. Après le verset qui suit et la bénédiction de l'abbé, on lira encore quatre leçons du Nouveau Testament, selon le même ordre que plus haut.

Après le quatrième répons, l'abbé entonnera le Te Deum laudamus. Cette hymne terminée, il lira la leçon de l'Evangile, tandis que tous les moines se tiendront debout, avec respect et crainte. A la fin de l'Evangile, ils répondront Amen. Aussitôt l'abbé ajoutera l'hymne Te decet laus, puis, la bénédiction donnée, on commencera les Laudes.

Cet ordre pour les Vigiles du dimanche sera suivi en toute saison, aussi bien en été qu'en hiver, sauf si - ce qu'à Dieu ne plaise, - les frères se fussent levés trop tard. En ce cas on retrancherait quelque chose des leçons ou des répons. Qu'on prenne toutefois bien garde que ce désordre n'arrive point. S'il se produisait, celui qui l'a causé par sa négligence, en fera une juste satisfaction à Dieu dans l'oratoire.

Chapitre XII. COMMENT CELEBRER LA SOLENNITE DES LAUDES

Le dimanche, à Laudes, on dira d'abord sans antienne et d'un trait le psaume soixante-six. Ensuite le psaume cinquante avec Alleluia, et les psaumes cent-dix-sept et soixante-deux; puis le cantique Benedicite et les psaumes Laudate, une leçon de l'Apocalypse par cœur, le répons, l'hymne, le verset, le cantique (Benedictus) de l'Evangile et la litanie, et l'office est achevé.

Chapitre XIII. COMMENT CELEBRER LES LAUDES AUX JOURS ORDINAIRES

Les jours ordinaires, la solennité des Laudes se fera comme suit. On récitera d'abord le psaume soixante-six sans antienne et en traînant un peu, comme le dimanche, afin que tous aient le temps d'arriver pour le psaume cinquante, qu'on dira avec antienne. Ce psaume sera suivi de deux autres selon la coutume: à savoir, le lundi, le cinquième et le trente-cinquième; le mardi, le quarante-deuxième et le cinquante-sixième; le mercredi, le soixante-troisième et le soixante-quatrième; le jeudi, le quatre-vingt-septième et le quatre-vingt-neuvième; le vendredi, le soixante-quinzième et le quatre-vingt-onzième; le samedi, le cent quarante-deuxième avec le cantique du Deutéronome divisé en deux Glori a. Les autres jours on dira le cantique tiré des Prophètes et assigné pour chaque jour, comme les psalmodie l'Eglise romaine. Viendront ensuite les psaumes Laudate, une leçon de l'Apôtre récitée par cœur, le répons, l'hymne, le verset, le cantique (Benedictus) de l'Evangile, la litanie, et l'office est achevé.

Il est entendu que les offices des Laudes et des Vêpres ne devront jamais se conclure sans que le supérieur dise, en dernier lieu, en entier, et au milieu de l'attention générale, l'oraison dominicale, à cause des épines de querelles qui ont accoutumé de se produire. Ainsi, les frères, engagés par la promesse qu'ils font en cette oraison: "Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons", se purifieront de ces sortes de fautes. Mais aux autres Heures, il suffira de dire tout haut la dernière partie de cette oraison, en sorte que tous répondent: "Mais délivre-nous du mal." (Mt 6,12-13)

Chapitre XIV. COMMENT ON CELEBRE LES VIGILES AUX FETES DES SAINTS

Aux fêtes des Saints et à toutes les solennités, on fera l'office de nuit comme le dimanche, sauf qu'on dira les psaumes, antiennes et leçons propres au jour même (de la fête). Pour la quantité, on gardera la mesure prescrite ci-dessus.

Chapitre XV. QUAND DIRE L'ALLELUIA

Depuis la sainte Pâque jusqu'à la Pentecôte, on dira l'Alleluia sans exception, tant aux psaumes qu'aux répons. Depuis la Pentecôte jusqu'au commencement du Carême, on le dira chaque nuit avec les six derniers psaumes des Nocturnes seulement. Tous les dimanches hors du Carême, on dira avec l'Alleluia, les Cantiques, Laudes, Prime, Tierce, Sexte et None; mais les Vêpres se chanteront avec antienne. On ne dira jamais les répons avec l'Alleluia, sinon de Pâques à la Pentecôte.

Chapitre XVI. COMMENT CELEBRER LES DIVINS OFFICES PENDANT LE JOUR

Nous ferons comme l'a dit le Prophète: "Sept fois le jour j'ai chanté tes louanges." Nous remplirons ce nombre sacré de sept, si nous nous acquittons des devoirs de notre service à Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies. Car c'est de ces Heures du jour que le Prophète a dit: "Sept fois le jour j'ai chanté tes louanges." (Ps 118,164) Tandis que, au sujet de l'office de la nuit, il s'exprime ainsi: "Je me levais au milieu de la nuit pour te louer." (Ps 118,62)
Louons donc notre Créateur des jugements de sa justice, en ces Heures-là, à savoir: Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres, Complies, et, la nuit, levons-nous pour lui offrir nos louanges. (Ps 118,164; 118,62)

Chapitre XVII. COMBIEN DE PSAUMES IL FAUT DIRE A CES MEMES HEURES

Nous avons jusqu'ici réglé l'ordre de la psalmodie pour les Vigiles et les Laudes; voyons maintenant ce qui concerne les heures suivantes. A Prime, on dira trois psaumes séparément et non sous un seul Gloria; mais avant de commencer ces psaumes on dira l'Hymne de la même Heure, après le verset Dieu, viens à mon aide. Après les trois psaumes, on récitera une leçon, le verset, le Kyrie eleison, et le renvoi.
Les offices de Tierce, Sexte et None se célébreront de la même manière, c'est-à-dire: le verset Dieu, viens à mon aide, l'hymne de ces Heures, trois psaumes, une leçon, le verset, Kyrie eleison, puis le renvoi. Si la communauté est nombreuse, on dira les psaumes avec antiennes; sinon on psalmodiera d'un trait. La réunion des Vêpres se composera de quatre psaumes avec antiennes; ensuite on récitera la leçon, le répons, l'hymne, le verset, le cantique de l'Evangile (Magnificat), la litanie, et par l'oraison dominicale se fera le renvoi.
A Complies, on récitera simplement trois psaumes d'un trait, sans antienne, puis l'hymne de cette Heure, une leçon, le verset, le Kyrie eleison, et, par la bénédiction se fera le renvoi.

Chapitre XVIII. EN QUEL ORDRE IL FAUT DIRE LES PSAUMES

D'abord on dira le verset: Dieu, viens à mon aide; Seigneur, hâte-toi de m'aider, et le Gloria. Puis viendra l'hymne propre à chaque Heure. (Ps 69,2) Ensuite: à Prime, le dimanche, on dira quatre sections du psaume cent dix-huit; aux autres Heures, c'est-à-dire à Tierce, Sexte et None, on récitera trois sections du même psaume. A Prime du lundi, on dira trois psaumes, à savoir le premier, le second et le sixième; ainsi de suite, chaque jour à Prime, jusqu'au dimanche, on continuera, en suivant leur ordre, à réciter trois psaumes jusqu'au psaume dix-neuf: toutefois on partagera en deux les psaumes neuf et dix-sept. De cette façon les Vigiles du dimanche commenceront toujours par le psaume vingt. A Tierce, Sexte et None du lundi on dira les neuf sections qui restent du psaume cent dix-huit, à raison de trois sections pour chaque Heure. Le psaume cent dix-huit aura donc été achevé en deux jours, à savoir le dimanche et le lundi.

Cela étant, le mardi à Tierce, Sexte et None on dira trois psaumes, depuis le cent dix-neuvième jusqu'au cent vingt-septième, ce qui fait neuf psaumes. 1Ces psaumes sont répétés aux mêmes Heures, chaque jour jusqu'au dimanche. De même pour ce qui est des hymnes, leçons et versets, on gardera tous les jours la disposition uniforme qui a été établie. 1Mais le dimanche on recommencera toujours par le psaume cent dix-huit.
A Vêpres, on chantera tous les jours quatre psaumes, à partir du cent neuvième jusqu'au cent quarante-septième, exception faite de ceux qui sont réservés pour d'autres Heures, à savoir depuis le cent dix-septième jusqu'au cent quarante-deuxième. Tous les autres se diront à Vêpres. Mais comme il manque trois psaumes (pour le nombre voulu), on divisera (en deux) les plus longs, à savoir les psaumes cent trente-huit, cent quarante-trois et cent quarante-quatre. Quant au cent seizième, très court, on le joindra au cent quizième. L'ordre des psaumes de Vêpres ainsi réglé, le reste de cet office, c'est-à-dire les leçons, répons, verset et cantique, se dira comme nous l'avons indiqué plus haut. A Complies, on répétera tous les jours les mêmes psaumes, à savoir les psaumes quatre, quatre-vingt-dix, et cent trente-trois.
L'ordre de la psalmodie du jour étant ainsi disposé, tous les autres psaumes qui restent seront distribués également entre les sept Vigiles de la semaine, ceux qui sont trop longs étant divisés en deux, de sorte qu'il y en ait douze pour chaque nuit.

Avant tout cependant nous tenons à dire que, si quelqu'un ne goûte pas cette distribution des psaumes, qu'il en adopte une autre qu'il jugera meilleure. Qu'il soit bien entendu toutefois que le psautier de cent cinquante psaumes sera récité intégralement chaque semaine et recommencé chaque dimanche à Vigile. En effet, des moines qui, au cours de la semaine, psalmodient moins que le psautier avec les cantiques habituels se montrent par trop mous dans le service qu'ils ont voué. La tâche que nos saints Pères, comme nous le lisons, accomplissaient courageusement en un seul jour, puissions-nous du moins, dans notre tiédeur, nous en acquitter en une semaine entière!

Chapitre XIX. LE MAINTIEN PENDANT LA PSALMODIE

Partout nous croyons fermement que Dieu est présent et que les yeux du Seigneur considèrent en tout lieu les bons et les méchants. (Pr 15,3) Mais surtout, il faut le croire fermement lorsque nous assistons à l'office divin. Ayons donc toujours dans la mémoire ce que dit le Prophète: "Servez le Seigneur dans la crainte." (Ps 2,11) Et encore: "Psalmodiez avec sagesse." (Ps 46,8) Et: "Je te chanterai en présence des Anges." (Ps 137,1) Considérons donc comment nous devons nous tenir en la présence de la Divinité et de ses Anges, et tenons-nous pour psalmodier de manière que notre esprit soit en accord avec notre voix.

Chapitre XX. LA REVERENCE DANS LA PRIERE

Lorsque nous avons une requête à présenter aux puissants de la terre, nous n'osons le faire qu'avec humilité et respect. A plus forte raison faut-il supplier le Seigneur Dieu de l'univers en toute humilité et pure dévotion. Sachons bien que ce n'est pas l'abondance des paroles, mais la pureté du cœur et les larmes de la componction qui nous obtiendront d'être exaucés. La prière doit donc être brève et pure, à moins que peut-être la grâce de l'inspiration divine ne nous incline à la prolonger. Mais en communauté, la prière sera très courte, et, sur le signal du supérieur, tous se lèveront en même temps.

Chapitre XXI. LES DOYENS DU MONASTERE

Si la communauté est nombreuse, on choisira quelques-uns d'entre les frères qui sont de bonne réputation et de sainte vie, (Ac 6,3) et on les établira doyens. Ils veilleront en tout sur leurs décanies, conformément aux commandements de Dieu et aux ordres de leur abbé. On choisira pour doyens ceux des moines avec lesquels l'abbé puisse en toute sécurité partager son fardeau. On ne les choisira pas selon leur ancienneté dans la communauté, mais selon le mérite de leur vie et la sagesse de leur doctrine.
Si, par hasard, l'un d'eux, enflé d'orgueil, mérite répréhension, on le corrigera une première, une deuxième et une troisième fois. S'il ne veut pas s'amender, on le déposera et on mettra à sa place un autre qui en soit digne. Nous établissons la même règle au sujet du prieur.

Chapitre XXII. COMMENT DORMIRONT LES MOINES

Les moines dormiront chacun dans un lit à part. Ils recevront une literie selon leur genre de vie et suivant qu'en aura disposé leur abbé. Si faire se peut, ils dormiront tous dans un même lieu. Si le trop grand nombre ne le permet pas, ils reposeront par dix ou par vingt, avec des anciens qui veilleront sur eux. Une lumière éclairera le dortoir continuellement jusqu'au matin.

Ils dormiront vêtus, ceints d'une ceinture ou d'une corde. En dormant, ils n'auront point leurs couteaux à leur côté de peur que, pendant le sommeil, ils ne viennent à se blesser tout en dormant.

Que les moines soient toujours prêts. Au signal donné, ils se lèveront aussitôt et s'empresseront à l'envi à l'Œuvre de Dieu, en toute gravité néanmoins et modestie. Les plus jeunes frères n'auront point leurs lits placés les uns près des autres, mais entremêlés parmi ceux des anciens.
En se levant pour l'Œuvre de Dieu, les moines s'encourageront doucement les uns les autres, afin d'ôter tout sujet d'excuse aux somnolents.

Chapitre XXIII. L'EXCOMMUNICATION POUR LES FAUTES

S'il se rencontre quelque frère récalcitrant ou désobéissant ou orgueilleux ou murmurateur ou qui viole en quelque point la sainte Règle et les ordres de ses anciens, et cela avec mépris, il sera averti par ses anciens, une et deux fois selon le précepte de Notre-Seigneur, en particulier. (Mt 2,18) S'il ne s'amende pas, on le réprimandera publiquement devant tous. Si, malgré cela, il ne se corrige pas, qu'il soit excommunié, s'il comprend la gravité de cette peine. 5Mais s'il est endurci, qu'il soit puni par un châtiment corporel.

Chapitre XXIV. QUELLE DOIT ETRE LA MESURE DE L'EXCOMMUNICATION

La mesure de l'excommunication ou du châtiment doit être proportionnée à la gravité de la faute, et la gravité des fautes dépend du jugement de l'abbé.
Si un frère est coupable de fautes légères, il sera privé de la table commune. Or, celui qui sera ainsi privé de la communauté de la table sera traité comme il suit: à l'oratoire, il n'entonnera ni psaume, ni antienne et ne récitera pas de leçon, jusqu'à ce qu'il ait donné satisfaction. Il prendra son repas seul, après le repas des frères: si, par exemple, les frères mangent à la sixième heure, ce frère ne le fera qu'à la neuvième; et si le dîner des frères est à la neuvième, le sien n'aura lieu que le soir, jusqu'à ce qu'il ait obtenu son pardon par une satisfaction convenable.

Chapitre XXV. LES FAUTES GRAVES

Le frère coupable d'une faute grave sera privé tout à la fois de la table commune et de l'oratoire. Aucun frère n'aura avec lui ni relation ni entretien. Il restera seul à l'ouvrage qui lui est enjoint, demeurant ainsi dans le deuil de la pénitence, et méditant cette sentence terrible de l'Apôtre: "Un tel homme a été livré à la mort de la chair, afin que son esprit soit sauvé au jour du Seigneur." (1 Co 5,5)
Il prendra seul son repas, suivant la mesure et à l'heure que l'abbé aura jugées opportunes. Ceux qui passent ne le béniront pas, ni la nourriture qui lui est servie.

Chapitre XXVI. CEUX QUI SANS PERMISSION SE JOIGNENT AUX EXCOMMUNIES

Si un frère, sans la permission de l'abbé, ose se joindre, en quelque manière que ce soit, à un frère excommunié, ou lui parler, ou lui faire une commission, il subira la même peine de l'excommunication.

Chapitre XXVII. QUELLE SOLLICITUDE L'ABBE DOIT AVOIR A L'EGARD DES EXCOMMUNIES

L'abbé doit prendre soin en toute sollicitude des frères qui ont failli, parce que "ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin mais les malades." (Mt 9,12) C'est pourquoi il doit, comme un sage médecin, user de tous les moyens. Il enverra des senpectes, c'est-à-dire des frères anciens et sages qui, comme en secret, consoleront le frère qui est dans le trouble et l'engageront à faire une humble satisfaction; ils le soutiendront de peur qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse; mais, comme le dit l'Apôtre, "il faut redoubler de charité envers lui", et tous prieront à son intention. (2 Co 2,7-8)

L'abbé, en effet, doit avoir un soin tout particulier et s'empresser, avec toute son adresse et toute son habileté, pour qu'il ne perde aucune des brebis à lui confiées. Il doit savoir qu'il a reçu le soin d'âmes malades et non une autorité tyrannique sur des âmes saines. Qu'il craigne donc la menace du Prophète, par laquelle Dieu dit: "Les brebis qui vous paraissaient grasses, vous les preniez pour vous, et celles qui étaient débiles, vous les rejetiez." (Ez 34,3-4) Qu'il imite plutôt l'exemple de tendresse du Bon Pasteur qui, ayant laissé dans les montagnes quatre-vingt-dix-neuf brebis, partit chercher l'unique brebis qui s'était égarée; (Lc 15,4-5) il eut de sa faiblesse une si grande compassion qu'il daigna la charger sur ses épaules sacrées et ainsi la rapporter au troupeau. (He 4,15)

Chapitre XXVIII. CEUX QUI, SOUVENT REPRIS, REFUSENT DE SE CORRIGER

Si un frère, après avoir été fréquemment repris pour quelque faute et même après avoir été excommunié, ne s'amende pas, on lui infligera une correction plus rude, c'est-à-dire on procédera contre lui par le châtiment des verges. Que s'il ne se corrige pas encore, ou que, peut-être, enflé d'orgueil, ce que Dieu ne permette pas, il veuille même défendre sa conduite, l'abbé fera alors ce que fait un sage médecin: employer les cataplasmes, les onguents des exhortations, les remèdes des divines Ecritures, enfin la brûlure de l'excommunication et les coups de verges. S'il voit que toute son habileté n'a rien obtenu, il emploiera alors un moyen plus efficace, sa prière et celle de tous les frères pour lui, afin que le Seigneur, qui peut tout, rende la santé à ce frère malade. Mais si ce remède n'opérait point la guérison, l'abbé prendra alors le fer qui retranche, selon la parole de l'Apôtre: "Otez le mal d'entre vous." (1 Co 5,13) Et encore: "Si l'infidèle s'en va, qu'il s'en aille", de peur qu'une brebis malade ne contamine tout le troupeau. (1 Co 7,15)

Chapitre XXIX. SI L'ON DOIT RECEVOIR DE NOUVEAU LES FRERES QUI ONT QUITTE LE MONASTERE

Un frère, sorti du monastère par sa propre faute, désire-t-il y rentrer, il devra promettre d'abord un total amendement du vice qui a causé son départ. On le recevra alors au dernier rang pour éprouver son humilité. S'il sort de nouveau, on le reprendra ainsi jusqu'à trois fois. Après quoi, il saura désormais que toute voie de retour lui est fermée.

Chapitre XXX. COMMENT CORRIGER LES JEUNES ENFANTS

Chacun doit être traité selon son âge et son degré d'intelligence. Aussi, lorsque des enfants ou des adolescents ou ceux qui n'ont pas assez de jugement pour comprendre la gravité de la peine de l'excommunication, commettront quelque faute, ils seront punis par des jeûnes sévères ou châtiés rudement par des coups, afin qu'ils se corrigent.

Chapitre XXXI. LES QUALITES QUE DOIT AVOIR LE CELLERIER DU MONASTERE

On choisira pour cellérier du monastère un des frères qui soit judicieux, sérieux, sobre, frugal, ni hautain, ni brouillon, ni injuste, ni négligent, ni prodigue, mais rempli de la crainte de Dieu, et qui soit comme un père pour toute la communauté.
Qu'il ait soin de tous; qu'il ne fasse rien sans l'ordre de l'abbé; qu'il exécute ce qui lui est commandé, qu'il ne mécontente pas les frères. Si l'un d'eux vient à lui demander quelque chose de déraisonnable, qu'il ne l'indispose pas en le rebutant avec mépris, mais qu'il lui refuse avec raison et avec humilité ce qu'on lui demande mal à propos.
Qu'il veille à la garde de son âme, se souvenant toujours de cette parole de l'Apôtre: "Celui qui aura bien administré, s'acquiert un rang élevé." (1 Tm 3,13)
Il prendra un soin tout particulier des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres, convaincu qu'au jour du jugement il devra rendre compte pour eux tous.
Il regardera tous les objets et tous les biens du monastère comme les objets sacrés de l'autel. Il ne tiendra rien pour négligeable. Il ne sera ni avare, ni prodigue, ni dissipateur des biens du monastère. Mais il fera tout avec mesure, et conformément aux ordres de l'abbé.
Avant tout il aura l'humilité et, s'il ne peut accorder ce qu'on lui demande, il donnera au moins une bonne réponse, selon qu'il est écrit: "Une bonne parole vaut mieux qu'un don excellent." (Si 18,17)
Il aura soin de tout ce que l'abbé lui aura prescrit, et il ne s'ingérera pas dans ce qu'il lui aura défendu. Il servira aux frères, sans fièvre ni lenteur, la portion qui leur revient, afin de ne pas les irriter, se souvenant du châtiment dont la parole divine menace celui qui aura scandalisé un des plus petits. (Mt 18,6)
Si la communauté est nombreuse, il recevra des aides, afin que, avec leur assistance, il remplisse sa charge l'âme en paix. Aux heures convenables on donnera et on demandera ce qui doit être donné et demandé, afin que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu.

Chapitre XXXII. LES OUTILS ET OBJETS DU MONASTERE

L'abbé confiera à ceux des frères, dont la vie et les mœurs sont sûres, ce que le monastère possède en outils, vêtements ou n'importe quels objets. Il leur remettra tout ce qu'ils doivent garder et recueillir selon qu'il l'aura jugé utile. L'abbé en conservera l'inventaire afin de savoir ce qu'il donne et ce qu'il reçoit, lorsque les frères se succèdent l'un à l'autre dans ces charges.
Si quelqu'un traite les objets du monastère avec malpropreté ou négligence, il sera réprimandé; s'il ne s'amende pas, il subira la discipline régulière..

Chapitre XXXIII. SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE

Avant tout, il faut retrancher du monastère jusqu'à la racine ce vice de la propriété. Que personne n'ait donc la témérité de rien donner ou recevoir sans l'autorisation de l'abbé; ni de rien posséder en propre, quoi que ce puisse être, ni livres, ni tablettes, ni stylet pour écrire, en un mot absolument rien, puisqu'il n'est même plus licite aux moines d'avoir à leur disposition ni leur corps ni leurs volontés. Ils doivent espérer et attendre du père du monastère tout ce qui leur est nécessaire. Et personne ne pourra avoir quelque chose que l'abbé n'ait donné ou permis.

Que tout soit commun à tous, ainsi qu'il est écrit. (Ac 4,32) Que personne ne dise que quelque chose lui appartient, ni n'ait la témérité de se l'approprier. Si quelqu'un se complaisait en ce vice détestable, on l'admonesterait une et deux fois; s'il ne s'amendait pas, on le corrigerait.

Chapitre XXXIV. SI TOUS DOIVENT RECEVOIR EGALEMENT LE NECESSAIRE

Comme il est écrit: "On partageait à chacun selon ses besoins." (Ac 4,35) Par là, nous ne disons pas qu'on fasse acception des personnes - ce qu'à Dieu ne plaise - mais qu'on ait égard aux infirmités. Celui qui a besoin de moins, rendra grâces à Dieu et ne s'attristera point; celui à qui il faut davantage, s'humiliera et ne s'élèvera point à cause de la miséricorde qu'on lui fait. Ainsi tous les membres seront en paix.
Avant tout, que jamais n'apparaisse le vice du murmure, pour quelque raison que ce soit, ni en paroles, ni en un signe quelconque. Si quelqu'un est reconnu coupable, il sera soumis à une correction sévère.

Chapitre XXXV. LES SEMAINIERS DE LA CUISINE

Les frères se serviront mutuellement. Personne ne sera dispensé du service de la cuisine, sinon pour cause de maladie ou pour quelque occupation de grande utilité. Par cet exercice, en effet, on acquiert plus de mérite et de charité. On donnera des aides à ceux qui sont faibles, afin qu'ils s'acquittent de leur tâche sans tristesse. Tous auront ainsi des aides, selon que le demandera l'état de la communauté ou la situation du lieu.
Si la communauté est nombreuse, le cellérier sera dispensé du service de la cuisine, ainsi que ceux qui, comme nous l'avons dit, sont occupés à des besognes plus utiles; mais tous les autres se serviront mutuellement avec charité.
Celui qui sort de semaine fera, le samedi, les nettoyages. Il lavera les linges avec lesquels les frères s'essuient les mains et les pieds. Aidé de celui qui entre en service, il lavera les pieds de tous les frères. Il remettra au cellérier, propres et en bon état, les objets de son office. Le cellérier les passera à celui qui entre en semaine; il saura ainsi ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.
Une heure avant le repas, les semainiers prendront chacun, en sus de la portion ordinaire, un coup à boire et du pain; de cette façon, à l'heure du repas, ils serviront leurs frères sans murmure et sans trop de fatigue. Mais les jours solennels, ils attendront jusqu'au renvoi de l'office.
Ceux qui entreront en semaine et ceux qui en sortiront, se prosterneront, dans l'oratoire, à la fin des Laudes du dimanche, aux genoux de tous, et leur demanderont de prier pour eux. Le sortant dira ce verset: "Tu es béni, Seigneur Dieu, toi qui m'as aidé et consolé." (Dn 3,52 ; Ps 85,17) L'ayant dit trois fois, il recevra la bénédiction. Celui qui entre en charge lui succèdera et dira: "Dieu, viens à mon aide, hâte-toi de me secourir." (Ps 69,2) Ce verset ayant été répété de même trois fois par tous les frères, il recevra la bénédiction et entrera en charge.

Chapitre XXXVI. LES FRERES MALADES

On prendra soin des malades avant tout et par dessus tout. On les servira comme s'ils étaient le Christ en personne, puisqu'il a dit: "J'ai été malade et vous m'avez visité" (Mt 25,36), et "ce que vous avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait." (Mt 25,40)
De leur côté, les malades considéreront que c'est en l'honneur de Dieu qu'on les sert. Aussi ils ne mécontenteront pas par des exigences superflues les frères qui les servent. Eventuellement, il faudrait cependant les supporter avec patience, parce qu'il en revient plus de mérite. L'abbé veillera donc avec très grand soin à ce que les malades ne souffrent d'aucune négligence.

On assignera aux frères malades un logis particulier et, pour leur service, un frère craignant Dieu, diligent et soigneux. On offrira aux malades l'usage des bains toutes les fois qu'il sera expédient; mais on l'accordera plus rarement aux bien-portants principalement aux jeunes. On concédera également aux malades tout à fait débiles l'usage de la viande afin de réparer leurs forces; mais lorsqu'ils seront rétablis, ils s'en abstiendront tous, comme à l'ordinaire. L'abbé veillera avec le plus grand soin à ce que les cellériers et les servants ne négligent pas les malades; c'est lui-même, en effet, qui est responsable de tout manquement commis par ses disciples.

Chapitre XXXVII. LES VIEILLARDS ET LES ENFANTS

Bien que la nature nous porte assez par elle-même à avoir compassion des vieillards et des enfants, il est bon de pourvoir encore à leurs besoins par l'autorité de la Règle. On aura donc toujours égard à leur faiblesse, on ne les astreindra pas à la rigueur de la Règle en ce qui touche l'alimentation. Mais on usera envers eux d'une tendre condescendance et ils devanceront les heures régulières des repas.

Chapitre XXXVIII. LE LECTEUR DE SEMAINE

La lecture ne doit jamais manquer à la table des frères. Il ne faut pas que, au hasard, quelqu'un s'empare du livre et fasse la lecture; mais un lecteur désigné pour toute la semaine entrera en fonction le dimanche. Avant de commencer sa semaine, après la Messe et la Communion, il demandera à toute la communauté de prier pour lui afin que Dieu le préserve de l'esprit d'orgueil. A cet effet, tous diront trois fois dans l'oratoire ce verset après lui: "Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange." 4Et ainsi ayant reçu la bénédiction, il entrera en fonction.

On gardera un silence parfait à table en sorte qu'on n'y entende aucun chuchotement ni parole, mais seulement la voix du lecteur. Quant aux choses nécessaires pour la nourriture et la boisson, les frères se les serviront mutuellement de façon que personne n'ait besoin de rien demander. Si toutefois il leur manque quelque chose, ils le demanderont plutôt par quelque signe que par la parole. Que personne n'ait la hardiesse de faire à ce moment des questions sur la lecture ou sur quelque autre sujet, pour ne donner aucun prétexte à la dissipation. Toutefois le supérieur pourra dire quelques mots pour l'édification, s'il le juge à propos.
Le lecteur de semaine prendra le "mixte" avant de commencer la lecture, à cause de la sainte Communion, et de peur que le jeûne ne lui soit pénible. La lecture finie, il prendra son repas avec les semainiers et les serviteurs de la cuisine.
Au reste, les frères ne liront et ne chanteront point chacun à son tour, mais ceux-là seulement qui édifient les auditeurs.

Chapitre XXXIX. LA MESURE DE LA NOURRITURE

Il suffit, nous semble-t-il, pour le repas quotidien - qu'il ait lieu à la sixième heure ou à la neuvième ­ à toutes les tables de deux mets cuits, à cause des infirmités diverses. Ainsi celui qui ne pourra s'accommoder d'un mets pourra manger l'autre. Deux mets cuits devront donc suffire à tous les frères. De plus, s'il se trouve des fruits ou des légumes frais, on ajoutera un troisième plat.
Une livre de pain, à bon poids, sera suffisante pour la journée, soit qu'il n'y ait qu'un repas, soit qu'il y ait dîner et souper. Si l'on doit souper, le cellérier réservera un tiers de cette livre de pain pour la servir alors.
S'il arrive que les frères ont travaillé plus qu'à l'ordinaire, l'abbé pourra, s'il le juge opportun, ajouter encore quelque chose, pourvu qu'on évite tout excès et que jamais un moine ne soit surpris par l'indigestion. Rien, en effet, n'est aussi contraire à tout chrétien que l'excès de table, comme dit Notre­Seigneur: "Prenez garde que vos cœurs ne s'appesantissent par l'excès." (Lc 21,34)
Aux enfants on ne servira pas la même quantité de nourriture, mais une plus petite qu'aux adultes, en gardant la sobriété en tout. Mais tous s'abstiendront absolument de la viande des quadrupèdes, excepté les malades très affaiblis.

Chapitre XL. LA MESURE DE LA BOISSON

Chacun "a reçu de Dieu son don particulier: l'un celui-ci, l'autre celui-là." (1 Co 7,7) Aussi avons-nous quelque scrupule à régler l'alimentation d'autrui. Toutefois, ayant égard au tempérament des faibles, nous pensons qu'une "hémine" de vin par jour suffit à chacun. Ceux à qui Dieu donne la grâce de s'en abstenir, sauront qu'ils recevront une récompense particulière. Si la situation du lieu, ou le travail, ou l'ardeur de l'été demandent davantage, le supérieur en décidera; mais il veillera en tout à ce qu'on ne tombe ni dans la satiété ni dans l'ivresse. Nous lisons, il est vrai, que le vin ne convient aucunement aux moines. Mais comme on ne peut le persuader aux moines de notre temps, accordons-nous du moins de ne pas boire jusqu'à satiété, mais avec sobriété: parce que "le vin fait apostasier même les sages." (Si 19,2)
Si la pauvreté du lieu est telle qu'on ne puisse se procurer cette mesure de vin, mais beaucoup moins ou rien du tout, ceux qui y demeurent béniront Dieu et ne se plaindront point. C'est l'avertissement que nous donnons avant tout: qu'ils s'abstiennent de murmurer.

Chapitre XLI. A QUELLE HEURE LES FRERES DOIVENT PRENDRE LEUR REPAS

Depuis la sainte Pâque jusqu'à la Pentecôte, les frères dîneront à la sixième heure et souperont le soir. Depuis la Pentecôte, au cours de tout l'été, s'ils n'ont point à peiner aux champs ou si la chaleur excessive de l'été ne les accable, ils jeûneront jusqu'à la neuvième heure, les mercredi et vendredi. Aux autres jours ils dîneront à la sixième heure. Ils continueront de dîner à cette heure-là, quand ils travailleront aux champs ou si l'ardeur de l'été est extrême. Il appartiendra à l'abbé d'y pourvoir. A lui de régler toutes choses et de les disposer de telle sorte que les âmes se sauvent et que les frères accomplissent leur tâche sans motif légitime de murmure.
Depuis le 13 septembre jusqu'au commencement du Carême, ils prendront toujours leur repas à la neuvième heure.
Pendant le Carême jusqu'à Pâques, ils mangeront après les Vêpres. Les Vêpres elles-mêmes seront célébrées de façon qu'on n'ait pas besoin de la lumière d'une lampe durant le repas, mais que tout puisse encore être fini à la clarté du jour. Et même en tout temps, on réglera l'heure du souper et du dîner, de façon que tout se fasse à la lueur du jour.

Chapitre XLII. QUE PERSONNE NE PARLE APRES COMPLIES

Les moines doivent s'appliquer au silence en tout temps, mais principalement pendant la nuit. C'est pourquoi, en toute saison, soit que l'on jeûne, soit que l'on dîne, si c'est une époque où l'on dîne, aussitôt après le repas du soir, les frères iront s'asseoir tous ensemble en un même lieu: l'un d'eux lira les Conférences ou les Vies des Pères ou quelqu'autre chose qui puisse édifier les auditeurs. On ne lira pourtant pas alors l'Heptateuque ou le Livre des Rois, parce qu'il ne serait pas bon pour les esprits faibles d'entendre, à cette heure-là, cette partie de l'Ecriture. On pourra la lire à d'autres moments.

Donc, en période de jeûne, après le chant des Vêpres, suivi d'un court intervalle, les frères se rendront promptement à la lecture dont nous avons parlé. On lira quatre ou cinq feuillets, ou autant que l'heure le permettra, tandis que tous s'empressent de rejoindre la réunion pendant la durée de cette lecture, y compris ceux qui auraient été occupés à quelque obédience.
Tous étant ainsi assemblés, on récitera Complies. Au sortir de cette Heure, il ne sera plus permis à personne de dire quoi que ce soit. Si quelqu'un viole cette règle du silence, il sera puni rigoureusement: on excepte les cas urgents d'hospitalité ou un ordre de l'abbé. Mais, même en ces circonstances, tout se fera avec une extrême gravité et une parfaite retenue.

Chapitre XLIII. CEUX QUI ARRIVENT EN RETARD À L'ŒUVRE DE DIEU OU À LA TABLE

A l'heure de l'office divin, aussitôt le signal entendu, on quittera tout ce qu'on a dans les mains, et l'on se hâtera d'accourir, avec gravité néanmoins afin de ne pas donner aliment à la dissipation. On ne préférera donc rien à l'Œuvre de Dieu.

Si quelqu'un arrive aux Vigiles après le Gloria du psaume quatre-vingt-quatorze ­ qui devra, pour ce motif, être récité en traînant et lentement ­ il ne prendra point son rang au chœur, mais la dernière place, ou se retirera à l'endroit que l'abbé aura désigné pour les négligents de cette sorte, et d'où il puisse être vu par lui et par toute la communauté. Il y demeurera jusqu'à ce que, l'Œuvre de Dieu étant terminée, il fasse pénitence par une satisfaction publique.
Si nous avons jugé à propos de placer les retardataires au dernier rang ou à l'écart, c'est afin que la honte qu'ils éprouveront d'être exposés au regard de tous serve à les corriger. Car s'ils demeuraient hors de l'oratoire, il s'en pourrait trouver qui iraient se recoucher pour dormir ou qui, assis dehors s'amuseraient à bavarder, donnant ainsi occasion au malin de les tenter. Il vaut donc mieux qu'ils entrent à l'oratoire; ainsi ils ne perdront pas tout, et ils auront des chances de se corriger.
Aux Heures du jour, celui qui arrivera à l'office divin après le verset et le Gloria du premier psaume dit après le verset, se tiendra au dernier rang, selon la règle que nous venons d'établir. Il ne se permettra point de se joindre à la psalmodie chorale avant d'avoir fait satisfaction, à moins que l'abbé ne lui en donne la permission, avec son pardon. Même dans ce cas, il devra encore réparer la faute qu'il a commise.
A la table, celui qui n'arrivera pas avant le verset, de façon que les frères puissent le réciter tous ensemble avec la prière et se mettre à table en même temps: si c'est par négligence ou par sa faute qu'il n'est pas arrivé à temps, il sera repris jusqu'à deux fois. Si ensuite il ne s'amende pas, il ne pourra plus participer à la table commune, mais il prendra son repas tout seul, séparé de la compagnie de ses frères et privé de sa portion de vin, jusqu'à ce qu'il ait satisfait et qu'il se soit corrigé. On traitera de la même manière celui qui ne se trouvera pas au verset qu'on dit après le repas.
Nul ne se permettra de manger ou de boire quoi que ce soit, avant ou après l'heure fixée pour le repas. S'il arrive que le supérieur offre quelque chose à un frère et que celui-ci ne l'accepte pas, lorsqu'il viendra à désirer ce qu'il avait d'abord refusé ou quelque autre chose, on ne lui accordera absolument rien jusqu'à ce qu'il ait fait une satisfaction convenable.

Chapitre XLIV. COMMENT LES EXCOMMUNIÉS FONT SATISFACTION

Celui qui, pour faute grave, aura été excommunié de l'oratoire et de la table commune, demeurera prosterné, devant la porte de l'oratoire, pendant qu'on y célébrera l'Œuvre de Dieu, et ne dira mot; mais il se tiendra le visage contre terre et le corps étendu, aux pieds de tous ceux qui sortent de l'oratoire. Il continuera cette pratique jusqu'à ce que l'abbé juge la satisfaction suffisante. Et lorsque l'abbé le lui aura commandé, il viendra se jeter à ses pieds et à ceux de tous les frères, afin qu'ils prient pour lui. Alors, si l'abbé l'ordonne, il sera reçu au chœur et occupera le rang que l'abbé aura déterminé. Il ne lui sera cependant par permis, sans un nouvel ordre de l'abbé, ni d'entonner un psaume, ni de lire une leçon ou quoi que ce soit. De plus, à toutes les Heures, au moment où s'achève l'Œuvre de Dieu, il se prosternera à terre, à la place qu'il occupe, et fera ainsi satisfaction jusqu'à ce que l'abbé lui ordonne de cesser.
Ceux qui, pour des fautes légères, sont excommuniés seulement de la table, satisferont dans l'oratoire; ils le feront jusqu'à ce que l'abbé les en dispense, en leur donnant sa bénédiction, et en disant: "Cela suffit".

Chapitre XLV. CEUX QUI SE TROMPENT À L'ORATOIRE

Lorsque quelqu'un se trompe en récitant un psaume, un répons, une antienne ou une leçon, s'il ne s'en humilie point sur place, devant tout le monde, en faisant satisfaction, il sera soumis à une correction plus sévère: c'est qu'en effet il n'a pas voulu corriger par un acte d'humilité la faute qu'il a commise par sa négligence. Les enfants, pour ces sortes de fautes, seront battus de verges.

Chapitre XLVI. CEUX QUI FONT DES FAUTES EN QUELQUE AUTRE CHOSE

Lorsqu'un moine dans un travail quelconque à la cuisine, au cellier, dans un service, à la boulangerie, au jardin, dans l'exercice d'un métier, ou en quelque lieu que ce soit, fait une faute, brise ou perd quelque chose, ou commet un autre délit, il ira aussitôt s'en accuser spontanément devant l'abbé et la communauté. S'il ne le fait pas et que son manquement soit connu par un autre, il subira une peine plus sévère.
Mais s'il s'agit d'un péché secret de l'âme, il le manifestera seulement à son abbé ou aux pères spirituels, qui sachent guérir et leurs propres plaies et celles des autres sans les découvrir ni les divulguer.

Chapitre XLVII. LA CHARGE D'ANNONCER L'ŒUVRE DE DIEU

La charge d'annoncer l'heure de l'Œuvre de Dieu, aussi bien le jour que la nuit, incombe à l'abbé. Il l'exercera lui-même, ou la confiera à un frère si ponctuel que l'office se fasse toujours aux heures prescrites.

Ceux qui en auront reçu l'ordre, entonneront psaumes et antiennes, à leur rang, après l'abbé. Personne n'aura la présomption de chanter ou de lire s'il ne peut s'acquitter de cette fonction de manière à édifier les assistants. Celui qui en aura reçu l'ordre de l'abbé le fera avec humilité, gravité et profond respect.

Chapitre XLVIII. LE TRAVAIL MANUEL DE CHAQUE JOUR

L'oisiveté est ennemie de l'âme. Les frères doivent donc consacrer certaines heures au travail des mains et d'autres à la lecture des choses divines. C'est pourquoi nous croyons pouvoir régler l'une et l'autre de ces occupations de la manière suivante:
De Pâques au 13 septembre, les frères sortiront dès le matin pour s'employer aux travaux nécessaires, depuis la première heure du jour jusqu'à la quatrième environ; depuis la quatrième jusqu'à la sixième, ils s'adonneront à la lecture.

Après la sixième heure, leur dîner fini, ils se reposeront sur leurs lits dans un parfait silence. Si quelqu'un veut lire, il pourra le faire tout bas de façon à n'incommoder personne. On dira None plus tôt qu'à l'ordinaire, environ à la huitième heure et demie. Après quoi, ils se mettront de nouveau à l'ouvrage jusqu'aux Vêpres.
Si les frères se trouvent obligés, par la nécessité ou la pauvreté, à travailler eux-mêmes aux récoltes, ils ne s'en affligeront point; c'est alors qu'ils seront vraiment moines, lorsqu'ils vivront du travail de leurs mains, à l'exemple de nos pères et des Apôtres. Que tout néanmoins se fasse avec modération, par égard pour les faibles.
A partir du 13 septembre jusqu'au commencement du Carême, les frères vaqueront à la lecture jusqu'à la fin de la deuxième heure; puis on dira Tierce. Ensuite, ils travailleront jusqu'à la neuvième heure à l'ouvrage qui leur aura été enjoint. Au premier coup de None, ils quitteront tous leur travail de façon à être prêts quand le second coup sonnera. Après le repas, ils s'appliqueront à leurs lectures ou à l'étude des psaumes.

Durant tout le Carême, ils s'occuperont à la lecture depuis le matin jusqu'à la fin de la troisième heure; ils feront ensuite jusqu'à la dixième heure entière le travail qui leur a été enjoint.

En ces jours de Carême, chacun recevra un livre tiré de la bibliothèque, qu'il lira à la suite et en entier. Ces livres sont distribués au début du Carême. On ne manquera pas de nommer un ou deux anciens, qui parcourent le monastère aux heures consacrées à la lecture. Ils examineront s'il ne se trouve pas quelque moine paresseux, perdant son temps à l'oisiveté ou au bavardage, au lieu de s'appliquer à la lecture, et qui ainsi, non seulement se nuit à lui-même, mais dissipe les autres. Si, à Dieu ne plaise! un frère est surpris en cette faute, on le reprendra jusqu'à deux fois. S'il ne s'amende point, on le soumettra à la correction régulière, de façon à inspirer de la crainte aux autres.
Un moine ne se joindra pas à un autre aux heures indues.

Le dimanche, tous vaqueront à la lecture, excepté ceux qui sont employés à divers offices. Si toutefois quelqu'un était si négligent et paresseux qu'il ne voulût ou ne pût ni méditer ni lire, on l'appliquera à quelque travail, afin qu'il ne demeure pas oisif. Quant aux frères malades ou délicats, on leur donnera tel ouvrage ou métier qui les garde de l'oisiveté, sans les accabler ni les porter à s'esquiver. L'abbé doit avoir leur faiblesse en considération.

Chapitre XLIX. L'OBSERVANCE DU CARÊMEt

La vie d'un moine devrait être, en tout temps, aussi observante que durant le Carême. Mais, comme il en est peu qui possèdent cette perfection, nous exhortons tous les frères à vivre en toute pureté pendant le Carême, et à effacer, en ces jours sacrés, toutes les négligences des autres temps. Nous le ferons dignement, si nous nous préservons alors de tous les vices, si nous nous appliquons à la prière avec larmes, à la lecture, à la componction du cœur et au renoncement.
En ces jours donc, ajoutons quelque chose à la tâche accoutumée de notre service: oraisons particulières, restriction dans les aliments et la boisson. Chacun offrira de sa propre volonté à Dieu, dans la joie du Saint-Esprit, quelque pratique surérogatoire; (1 Th 1,6) il retranchera à son corps sur la nourriture, la boisson, le sommeil, les entretiens, la plaisanterie; et il attendra la sainte Pâque avec la joie du désir spirituel.
Chacun cependant soumettra à son abbé ce qu'il se propose d'offrir à Dieu et n'agira qu'avec sa prière et son approbation: car tout ce qui se fait sans la permission du père spirituel sera imputé à présomption et à vaine gloire, non à mérite. Pourtant, tout doit se faire avec l'assentiment de l'abbé.

Chapitre L. LES FRERES QUI TRAVAILLENT LOIN DE L'ORATOIRE OU QUI SONT EN VOYAGE

Les frères qui travaillent fort loin et qui ne peuvent revenir à l'oratoire aux heures voulues ­ l'abbé ayant jugé qu'il en est bien ainsi ­ accompliront l'Œuvre de Dieu sur place et à genoux, avec le respect dû à Dieu. De même, ceux qui sont envoyés en voyage ne laisseront point passer les Heures prescrites; ils les diront comme ils pourront, en leur particulier, et ne négligeront pas de s'acquitter de ce devoir de leur service.

Chapitre LI. LES FRERES QUI NE S'EN VONT QU'À FAIBLE DISTANCE

Le frère qui est envoyé à l'extérieur pour une affaire quelconque et espère rentrer le même jour au monastère ne se permettra pas de manger au dehors, même s'il est invité instamment par qui que ce soit ­ à moins, bien entendu, que l'abbé ne l'ait autorisé; 3à défaut de quoi, ce frère sera excommunié.

Chapitre LII. L'ORATOIRE DU MONASTERE

L'oratoire sera ce que signifie son nom. On n'y fera et on n'y déposera rien d'étranger à sa destination. Après l'Œuvre de Dieu, tous les frères sortiront dans un profond silence, et ils auront pour Dieu la révérence qui lui est due; de la sorte, si peut-être un frère veut y prier en particulier, il n'en sera pas empêché par l'importunité d'autrui. D'ailleurs, si, à d'autres moments, un moine veut faire discrètement oraison, qu'il entre simplement et qu'il prie: non pas avec des éclats de voix, mais avec larmes et ferveur du cœur. A qui ne se conduirait pas ainsi, on ne permettra donc pas de demeurer à l'oratoire après l'Œuvre de Dieu, de peur, comme il a été dit, qu'il ne gêne autrui.

Chapitre LIII. LA RECEPTION DES HOTES

Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comme le Christ, car lui-même doit dire un jour: "J'ai demandé l'hospitalité et vous m'avez reçu." (Mt 25,35) A tous on témoignera l'honneur qui leur est dû, surtout aux proches dans la foi et aux pèlerins. (Ga 6,10) Dès qu'un hôte aura été annoncé, le supérieur et les frères se hâteront au-devant de lui avec toutes les marques de la charité. Après avoir fait la prière ensemble, on échangera la paix. Ce baiser de paix ne se donnera qu'après la prière, pour déjouer les artifices du démon. Dans ce salut, on témoignera à tous les hôtes une profonde humilité et, soit à leur arrivée, soit à leur départ, c'est par une inclination de tête ou une prostration du corps qu'on adorera en eux le Christ même qu'on reçoit.

Aussitôt accueillis, les hôtes seront conduits à la prière. Puis le supérieur, ou tel autre qui en aura reçu mandat, s'assiéra en leur compagnie et on leur lira l'Ecriture Sainte, pour leur édification. Ensuite on leur témoignera toute l'humanité possible. Le supérieur rompra le jeûne pour manger avec eux, à moins qu'il ne s'agisse d'un jeûne important qu'on ne puisse enfreindre. Quant aux frères, ils garderont leurs jeûnes accoutumés.
L'abbé versera de l'eau sur les mains des hôtes; lui-même, aidé de la communauté, leur lavera les pieds. Ce qu'ayant fait, ils diront: "Nous avons reçu, Seigneur, ta miséricorde au milieu de ton temple." (Ps 47,10) Ce sont aux pauvres et aux pèlerins surtout qu'on témoignera le plus d'attentions parce c'est principalement en leur personne que l'on reçoit le Christ. Pour les riches, en effet, la crainte de leur déplaire porte d'elle-même à les honorer.
La cuisine de l'abbé et des hôtes se fera à part; ainsi les hôtes, qui ne manquent jamais au monastère et qui arrivent à toute heure, ne troubleront point la vie des frères. Tous les ans on confiera la charge de cette cuisine à deux frères qui puissent bien s'en acquitter. On leur donnera, si besoin, des aides afin qu'ils travaillent sans murmure. Quand ils ne seront pas suffisamment occupés, ils s'emploieront à d'autres ouvrages qu'on leur indiquera.
On observera cette règle, non seulement pour eux mais pour tous les offices du monastère, en leur accordant des aides selon leur besoin et en les envoyant à d'autres devoirs lorsqu'ils ne seront pas occupés au leur.
Pour prendre soin du logement des hôtes on désignera un frère, dont l'âme soit remplie de la crainte de Dieu. Il y aura des lits garnis en nombre suffisant. Ainsi la maison de Dieu sera sagement administrée par des gens sages.
Aucun moine n'abordera les hôtes, ni leur parlera sans permission. S'il les rencontre ou les aperçoit, il les saluera humblement, comme il a été dit, et ayant demandé une bénédiction, il passera outre, ajoutant qu'il ne lui est pas permis de s'entretenir avec les hôtes.

Chapitre LIV. SI UN MOINE PEUT RECEVOIR DES LETTRES OU QUELQUE AUTRE CHOSE

Il n'est pas licite à un moine, sans autorisation de l'abbé, de recevoir, ni de ses parents ni de qui que ce soit, ni même entre eux, des lettres, des cadeaux, ou de petits présents quelconques, et pas davantage d'en donner.
Si les parents lui envoient quelque chose, il n'aura pas la hardiesse de le recevoir avant d'en avertir l'abbé. Celui-ci, s'il permet d'accepter l'objet, pourra le donner à qui lui plaira. (Ep 4,27; 1 Tm 5,14) Le frère à qui on l'avait envoyé, ne s'en attristera pas, de peur de donner au diable une chance. Celui qui enfreindra cette règle sera puni des peines régulières.

Chapitre LV. LES VETEMENTS ET LES CHAUSSURES DES FRERES

Pour les habits à donner aux frères, on aura égard aux conditions et au climat des lieux qu'ils habitent. Il leur en faut davantage dans les régions froides et moins dans les pays chauds. C'est à l'abbé d'apprécier cette différence. Nous estimons toutefois que, dans les endroits tempérés, une coule et une tunique suffisent pour chaque moine: coule velue en hiver, en été légère et usagée; avec cela, un scapulaire pour le travail; pour couvrir les pieds, des bas et des souliers.
Les moines ne se mettront pas en peine de la couleur ou de la grossièreté de ces divers objets. Ils se contenteront de ce qu'on pourra trouver au pays qu'ils habitent ou se procurer à meilleur marché.

Quant à la mesure des habits, l'abbé veillera à ce qu'ils ne soient pas trop courts mais à la taille de chacun. Lorsqu'on en recevra de neufs, on rendra toujours et immédiatement les vieux qui seront déposés au vestiaire pour les pauvres. Il suffit, en effet, à un moine d'avoir deux tuniques et deux coules pour en changer la nuit, et pour pouvoir les laver. Tout ce qu'on pourrait avoir en plus est superflu et doit être retranché. Les frères rendront également les vieilles chaussures et tout ce qui est usé, lorsqu'ils recevront du neuf.
Ceux qui sont en voyage recevront du vestiaire des caleçons; à leur retour, ils les restitueront, après les avoir lavés. Les coules et tuniques seront un peu meilleures que celles qu'ils portent d'habitude. Reçues du vestiaire au départ, elles y seront remises à la rentrée.
Les lits auront pour toute garniture une paillasse, un drap, une couverture de laine et un oreiller. L'abbé fera souvent la visite de ces lits, de crainte qu'il ne s'y trouve quelque objet qu'on se serait approprié. Et si l'on découvrait dans la couche d'un frère quelque chose qu'il n'eût pas reçu de l'abbé, il serait soumis à une très grave punition. Et pour couper jusqu'à la racine ce vice de la propriété, l'abbé donnera tout ce qui est nécessaire, à savoir coule, tunique, souliers, bas, ceinture, couteau, stylet, aiguille, mouchoir, tablettes. De cette façon, on ôte toute excuse tirée de la nécessité.
L'abbé cependant doit toujours tenir compte de cette parole des Actes des Apôtres: "On donnait à chacun selon ses besoins." (Ac 4,35) Il aura donc égard aux besoins des faibles et non à la mauvaise disposition des envieux. Mais qu'en toutes ses décisions, il se souvienne que Dieu lui rendra selon ses œuvres.

Chapitre LVI. LA TABLE DE L'ABBE

L'abbé prendra toujours ses repas avec les hôtes et les pèlerins. Quand les hôtes seront moins nombreux, il pourra appeler à sa table ceux des frères qu'il voudra. Toutefois il laissera toujours avec les frères un ou deux anciens pour le bon ordre de la discipline.

Chapitre LVII. LES ARTISANS DU MONASTERE

S'il y a des artisans dans le monastère, ils exerceront leur métier en toute humilité, à la condition que l'abbé le leur permette. Si l'un d'eux venait à s'enorgueillir de ce qu'il sait faire, se persuadant qu'il apporte quelque profit au monastère, on lui interdira l'exercice de son métier et il ne s'en occupera plus, à moins qu'il ne se soit humilié et que l'abbé ne lui ait commandé d'y retourner.
Si l'on doit vendre des ouvrages de ces artisans, ceux qui feront la transaction se garderont bien de commettre aucune fraude. Ils se souviendront toujours d'Ananie et de Saphire, de peur que la mort que ceux-ci subirent dans leur corps, ils ne la subissent dans leur âme, (cf. Ac 5,1-11) eux et tous ceux qui commettraient de la fraude au sujet des biens du monastère. Pour ce qui concerne les prix, on veillera à ce que l'avarice ne s'y glisse pas. Au contraire, on vendra un peu moins cher que les séculiers,  « afin qu'en tout Dieu soit glorifié.» (1 P 4,11)

Chapitre LVIII. LA MANIERE DE RECEVOIR LES FRERES

On n'accordera pas facilement l'entrée du monastère à celui qui vient s'y engager dans la vie religieuse; mais on fera ce que dit l'Apôtre: "Eprouvez les esprits pour discerner s'ils sont de Dieu." (1 Jn 4,1) Si le postulant persévère à frapper à la porte, et s'il supporte patiemment les rebuffades et les difficultés qui lui sont faites à son entrée, et s'il persiste dans sa demande depuis quatre ou cinq jours, il obtiendra alors la permission d'entrer. Ensuite, il passera dans le logis des novices, où ils méditent, mangent et dorment. On lui donnera, pour le conduire, un ancien qui soit apte à gagner les âmes et qui veillera sur lui très attentivement. Il examinera avec attention si le novice cherche vraiment Dieu, s'il est attentif à l'Œuvre de Dieu, à l'obéissance et aux humiliations. On lui fera connaître toutes les choses dures et âpres par lesquelles on va à Dieu.
S'il promet de persévérer en sa résolution, alors, après deux mois, on lui lira cette Règle tout au long, et on lui dira: "Voici la loi sous laquelle tu veux militer. Si tu peux l'observer, entre; sinon, tu es libre de te retirer." S'il persiste, on le reconduira au susdit logis des novices, et on se remettra à éprouver de toute manière sa patience. Au bout de six mois, on lui lira encore la Règle, afin qu'il sache à quoi il s'engage. S'il persévère toujours, après quatre autres mois, on lui relira encore une fois la même Règle. Si enfin, après mûre délibération, il promet de la garder dans tous ses points et d'observer tout ce qui est commandé, il sera reçu dans la communauté, sachant au surplus que, en vertu de la Règle, il ne lui est plus permis, à partir de ce jour, de sortir du monastère, ni de secouer le joug de cette Règle, qu'après une aussi longue délibération il a été à même de refuser ou d'accepter.

Avant d'être reçu, il promettra donc publiquement, dans l'oratoire, stabilité, vie religieuse et obéissance en la présence de Dieu et de ses saints. Il sait donc que, si un jour il manquait à l’engagement, il serait condamné par Celui dont il se serait joué.
De cette promesse, il fera une demande écrite au nom des Saints dont les reliques sont en ce lieu, et de l'abbé présent. Il écrira cette demande de sa propre main, ou du moins, s'il est illettré, il priera un autre de l'écrire pour lui. Le novice lui-même la signera, et de sa main la déposera sur l'autel. Lorsqu'il l'y aura placée, il entonnera aussitôt ce verset: "Reçois-moi, Seigneur, selon ta parole et je vivrai, et ne me confonds pas dans mon attente." (Ps 118,116) Toute la communauté répétera trois fois ce verset, et conclura par le Gloria Patri. Le novice se prosternera ensuite aux pieds de chacun des frères, afin qu'ils prient pour lui. A dater de ce jour, on le tiendra pour membre de la communauté. S'il possède quelque avoir, ou bien il le distribuera auparavant aux pauvres, ou bien il l'attribuera au monastère par une donation solennelle, sans rien se réserver du tout; car il sait que, dès cet instant, il ne peut plus même disposer de son propre corps.
On le dépouillera donc immédiatement dans l'oratoire de tous les effets personnels dont il était vêtu, et on le revêtira d'habits appartenant au monastère. Les vêtements qu'il aura quittés seront conservés au vestiaire, afin que si, un jour, à l'instigation du diable, il voulait sortir du monastère ­ ce qu'à Dieu ne plaise ­ on puisse lui ôter les habits du monastère et le chasser. On ne lui rendra pas néanmoins sa demande écrite, que l'abbé a prise jadis sur l'autel, mais on la gardera dans le monastère.

Chapitre LIX. LES FILS DE NOTABLES OU DE PAUVRES QUI SONT OFFERTS

Lorsqu'une personne de condition notable veut offrir son fils à Dieu dans le monastère, et si c'est un jeune enfant, ses parents rédigeront eux-mêmes la demande écrite dont nous avons parlé. Ils envelopperont cette demande et la main de l'enfant, avec l'offrande, dans la nappe de l'autel, et ils l'offriront ainsi.
Quant à leurs biens, ils promettront sous serment, dans la demande même, de ne jamais rien lui en donner, ni par eux-mêmes, ni par personne interposée, ni d'aucune manière, ni même de lui fournir occasion d'en posséder; ou bien, s'ils ne veulent pas agir ainsi, et qu'ils veuillent cependant offrir quelque chose en aumône au monastère comme rétribution, ils en feront donation à la communauté, s'en réservant l'usufruit durant leur vie, s'il leur plaît. De la sorte, on fermera à l'enfant toute sortie, si bien qu'il ne lui restera aucun espoir, qui ne servirait ­ ce qu'à Dieu ne plaise ­ qu'à le tromper et à le perdre, comme nous l'avons appris par l'expérience.
Les moins fortunés agiront de même. Ceux qui ne possèdent absolument rien, feront simplement la demande écrite et offriront leurs fils, avec l'offrande, en présence de témoins.

Chapitre LX. LES PRETRES QUI DESIRERAIENT SE FIXER DANS LE MONASTERE

Quand un prêtre demande à être reçu dans le monastère, on ne l'acceptera pas trop vite. Toutefois, s'il persiste absolument dans cette requête, il saura qu'il sera tenu à toute la discipline de la Règle, et qu'on ne lui en relâchera rien. Il en sera comme il est écrit: "Mon ami, dans quel dessein es-tu venu?" (Mt 26,50)
Il pourra néanmoins prendre place après l'abbé, donner les bénédictions et célébrer la messe, si toutefois l'abbé le lui permet. Sinon, il ne doit se prévaloir de rien, sachant qu'il est soumis à l'observance régulière et qualifié plutôt pour donner à tous des exemples d'humilité.
S'il vient à être question dans le monastère de charge à conférer ou d'affaire à traiter, il tiendra pour sien le rang de son entrée, et non celui que lui a valu le respect pour son sacerdoce.
Si un clerc, mû par le même désir, sollicite son admission, on le placera dans un rang moyen. Il devra, lui aussi, promettre de garder la Règle et la stabilité.

Chapitre LXI. COMMENT RECEVOIR LES MOINES ETRANGERS

Si un moine étranger vient d'une région lointaine et veut demeurer, comme hôte, dans le monastère, on le recevra autant de temps qu'il le désire, pourvu qu'il se contente de la vie qu'on y mène, et ne trouble pas la communauté par ses vaines exigences, mais simplement s'accommode de ce qu'il trouve.
Si ce moine venait à reprendre ou à remontrer quelque chose, et qu'il le fît avec raison et avec l'humilité de la charité, l'abbé examinera l'avertissement avec prudence; car c'est peut-être pour cela même que le Seigneur l'a conduit ici.
Si, dans la suite, il y veut fixer sa stabilité, on ne s'y refusera point, d'autant plus qu'on a pu juger de sa manière de vivre durant son séjour à l'hôtellerie. M ais si l'on a remarqué, durant ce temps, qu'il est exigeant ou vicieux, non seulement on ne l'agrégera pas au corps du monastère, mais on lui dira honnêtement de se retirer, de peur que sa misère ne contamine les autres. Si, au contraire, sa conduite ne lui mérite pas d'être congédié, non seulement on l'admettra dans la communauté, sur sa demande, mais même on lui conseillera de s'y fixer, afin que son exemple édifie les autres; car, en tout lieu, c'est un seul Seigneur que l'on sert, c'est sous un seul Roi qu'on milite.
L'abbé pourra le placer en un rang un peu plus élevé que celui de son entrée, s'il juge qu'il le mérite. Il en sera ainsi non seulement à l'égard d'un moine, mais encore des prêtres ou des clercs dont on parlé ci-dessus; l'abbé pourra les établir en un rang supérieur à celui de leur entrée, si toutefois il reconnaît que leur vie en est digne.
Mais que l'abbé se garde bien d'admettre jamais à demeure en sa communauté un moine d'un autre monastère connu, sans le consentement de son abbé ou sans lettres de recommandation; car il est écrit: "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui." (Tb 4,16; Mt 7,12)

Chapitre LXII. LES PRETRES DU MONASTERE

Si l'abbé demande qu'on lui ordonne un prêtre ou un diacre pour son monastère, qu'il choisisse un de ses moines jugé digne du sacerdoce. (Si 45,19) Celui qui aura été ordonné se gardera de l'élèvement et de l'orgueil. Il n'entreprendra rien sans la permission de l'abbé, se sachant plus strictement assujetti qu'auparavant à l'observance régulière. Il ne prendra pas prétexte de son sacerdoce pour oublier l'obéissance à la Règle et la discipline; au contraire, il avancera de plus en plus vers Dieu.

Il gardera toujours le rang de son entrée au monastère, sauf quand il officie à l'autel ou, si peut-être le choix de la communauté et la volonté de l'abbé l'avaient volontairement élevé, à cause du mérite de sa vie. Même en ce cas, il saura qu'il faut suivre la règle établie par les doyens et les prieurs. S'il osait s'y soustraire, il serait traité non comme prêtre mais en rebelle. Et si, après avoir été fréquemment réprimandé, il ne se corrigeait pas, l'évêque lui-même serait pris à témoin. Si, après cela, il ne s'amendait pas, ses fautes devenant manifestes, il serait chassé du monastère, à supposer toutefois son opiniâtreté telle qu'il ne voulût pas se soumettre ou obéir à la Règle.

Chapitre LXIII. LE RANG A GARDER DANS LA COMMUNAUTE

Les frères garderont dans le monastère le rang que déterminent la date de leur entrée en religion, ou le mérite de leur vie et la décision de l'abbé. Celui-ci cependant ne troublera point le troupeau qui lui est confié, et ne prendra aucune disposition injuste comme s'il jouissait d'un pouvoir arbitraire. Il songera sans cesse au compte qu'il devra rendre à Dieu de toutes ses décisions et de tous ses actes.
Ainsi donc, c'est selon le rang qu'il aura établi, ou celui que les frères tiennent à leur entrée, qu'ils iront au baiser de paix et à la communion, entonneront les psaumes et prendront place au chœur. Nulle part, il n'y aura avantage ou préjudice du simple fait de l'âge dans l'ordre à garder,puisque Samuel et Daniel, encore enfants, ont jugé les anciens. (cf. 1 S 3; Dn 13) Donc, à l'exception de ceux que, comme nous l'avons dit, l'abbé aura promus pour des motifs supérieurs, ou qu'il aura fait déchoir pour des raisons fondées, tous les autres prendront rang à dater de leur entrée en religion: en sorte que, par exemple, celui qui sera arrivé au monastère à la seconde heure du jour, se reconnaîtra, quel que soit son âge ou sa dignité, le cadet de celui qui est arrivé à la première heure. Quant aux enfants, ils seront maintenus dans la Règle en tout et par tous.
Les plus jeunes honoreront donc leurs anciens; et les anciens auront de l'affection pour leurs cadets. Lorsqu'ils se nommeront les uns les autres, il ne sera permis à personne de désigner quelqu'un par son seul nom, mais les anciens donneront aux plus jeunes le nom de Frères, et les plus jeunes à leurs anciens celui de Nonni, terme qui exprime la révérence à un père. Quant à l'abbé, parce qu'on croit fermement qu'il tient la place du Christ, il recevra l'appellation de Dominus et Abbé, non qu'il se l'arroge de lui-même, mais par honneur et amour du Christ. Aussi devra-t-il s'en pénétrer et se rendre digne d'un pareil honneur.
Quand les frères se rencontreront, le plus jeune demandera à l'ancien sa bénédiction. Si un ancien vient à passer, le jeune se lèvera, lui fera place pour s'asseoir, et ne se permettra pas de se rasseoir que son ancien ne l'y ait invité. On accomplira ainsi ce qui est écrit: "Se prévenir d'honneur les uns les autres." (Rm 12,10) Les petits enfants et les adolescents garderont leur rang avec discipline, à l'oratoire et au réfectoire.Mais hors de là et en tout lieu, ils seront sous la garde et la surveillance de quelqu'un, jusqu'à ce qu'ils aient atteint un âge où domine la raison.

Chapitre LXIV. L'INSTITUTION DE L'ABBE

Dans l'institution de l'abbé, on aura pour règle constante d'établir celui que toute la communauté, inspirée par la crainte de Dieu, aura élu d'un commun accord, ou même celui qu'aura choisi une partie de la communauté, même faible, mais au jugement plus sage. Dans cette élection, on aura égard au mérite de la vie et à la doctrine spirituelle du candidat, quand bien même il occuperait le dernier rang dans la communauté.
Si, par malheur, il arrivait que la communauté tout entière, d'un commun accord, eût élu une personne complice de ses dérèglements, lorsque ces désordres parviendront à la connaissance de l'évêque, au diocèse duquel appartient le monastère, ou des abbés et des chrétiens du voisinage, ils empêcheront l'accord des méchants de prévaloir. Ils pourvoiront eux-mêmes d'un digne chef la maison de Dieu: assurés qu'une bonne récompense leur est réservée, s'ils agissent dans une intention pure et par le zèle de Dieu; comme au contraire ils commettraient un péché s'ils négligeaient d'intervenir.
L'abbé, une fois établi, pensera sans cesse à la nature du fardeau qu'il a reçu, et à Celui à qui il devra rendre compte de son administration. Qu'il sache qu'il lui faut aider bien plus que régir. Il doit donc être docte dans la loi divine, afin de savoir et d'avoir où puiser les leçons anciennes et nouvelles. Qu'il soit chaste, sobre, miséricordieux; que toujours il préfère la miséricorde à la justice, afin d'obtenir pour lui-même un traitement semblable. Qu'il haïsse les vices, mais qu'il aime les frères.
Dans la correction même, il agira avec prudence et sans excès, de crainte qu'en voulant trop racler la rouille, il ne brise le vase. Il aura toujours devant les yeux sa propre faiblesse, et se souviendra qu'il ne faut pas broyer le roseau déjà éclaté. Et par là nous n'entendons pas qu'il puisse laisser les vices se fortifier, mais qu'il les détruise avec prudence et charité, en adaptant les moyens à chaque caractère, comme nous l'avons déjà expliqué.
Il s'efforcera plus à se faire aimer qu'à se faire craindre. Qu'il ne soit ni turbulent, ni inquiet; qu'il ne soit ni excessif, ni opiniâtre; qu'il ne soit ni jaloux, ni trop soupçonneux; sinon, il n'aura jamais de repos.
Dans ses commandements, il sera prévoyant et circonspect. Dans les tâches qu'il distribuera, soit qu'il s'agisse des choses de Dieu, soit de celles du monde, il se conduira avec discernement et modération, et se rappellera la discrétion du saint patriarche Jacob, qui disait: "Si je fatigue mes troupeaux en les faisant trop marcher, ils périront tous en un jour." (Gn 33,13) Imitant donc cet exemple et d'autres semblables de la discrétion, cette mère des vertus, qu'il tempère tellement toutes choses que les forts désirent faire davantage et que les faibles ne se dérobent pas.
Par dessus tout, qu'il observe tous les points de la présente Règle, afin qu'après avoir bien servi, il s'entende adresser par le Seigneur cette parole au bon serviteur qui avait distribué le froment, en temps opportun, à ses compagnons: "En vérité, je vous le dis, le Maître l'établira sur tous ses biens." (Mt 24,47)

Chapitre LXV. LE PRIEUR DU MONASTERE

Bien souvent il arrive que l'établissement du prieur fasse naître de graves conflits dans les monastères. Il s'en trouve, en effet, qui, enflés d'un méchant esprit d'orgueil, s'imaginent être de seconds abbés, et qui, s'attribuant une autorité sans contrôle, entretiennent des conflits et causent des dissensions dans la communauté.Cela se produit surtout en ces lieux où le prieur est établi par le même évêque ou par les mêmes abbés que l'abbé lui-même.
On voit aisément combien cette manière de faire est absurde. C'est elle qui, dès le début de son institution, donne au prieur matière à s'enorgueillir. Elle lui suggère qu'il est soustrait au pouvoir de son abbé, puisque: "Toi aussi, se dira-t-il, tu as été établi par ceux-là mêmes qui ont institué l'abbé."
De là surgissent des jalousies, des conflits, des détractions, des rivalités, des cabales, les pires désordres. Or, si l'abbé et le prieur sont opposés de sentiments, il est impossible que, dans une telle discorde, leurs âmes ne se trouvent pas en danger. Ceux également qui vivent sous leur conduite, prenant parti pour l'un ou pour l'autre, vont à leur perte. De ce péril sont responsables au premier chef ceux qui se sont faits les auteurs d'un pareil dérèglement.
C'est pourquoi nous jugeons que, pour conserver la paix et la charité, il faut que le gouvernement de son monastère dépende entièrement de l'abbé. Si faire se peut, toute la marche du monastère sera assurée par des doyens, et cela selon les ordres de l'abbé, comme nous l'avons déjà dit. Les charges étant confiées à plusieurs, un seul n'aura pas l'occasion de s'enorgueillir.
Si toutefois le lieu rend un prieur désirable, ou si la communauté le demande pour un juste motif, et avec humilité, si l'abbé enfin le juge à propos, c'est ce dernier qui établira lui-même pour prieur celui qu'il aura choisi avec le conseil des frères craignant Dieu.
Le prieur exécutera avec respect tout ce que son abbé lui prescrira, sans jamais contrevenir à sa volonté et à ses ordres. Car, plus il est élevé au-dessus des autres, plus il doit observer consciencieusement les préceptes de la Règle.
Si ce prieur tombait dans quelque dérèglement, s'enflait d'orgueil, ou était convaincu de mépris pour la sainte Règle, on l'en reprendrait jusqu'à quatre fois. S'il ne s'amendait pas, on lui ferait subir la correction de la discipline régulière. Si par ces moyens il ne se corrigeait pas encore, on le déposerait de son rang de prieur, et on mettrait à sa place un autre qui en fût digne. Enfin, si après tout cela, il ne se montrait pas tranquille et obéissant dans la communauté, on le chasserait du monastère.
Que l'abbé cependant songe qu'il doit rendre compte à Dieu de toutes ses décisions, de crainte que le feu de l'envie ou de la jalousie ne vienne à brûler son âme.

Chapitre LXVI. LES PORTIERS DU MONASTERE

A la porte du monastère on placera un sage vieillard, qui sache recevoir et rendre un message, et dont la maturité le préserve de toute oisiveté. Le portier devra avoir sa cellule près de la porte, afin que ceux qui viennent trouvent toujours à qui parler. Et aussitôt qu'on aura frappé ou qu'un pauvre aura appelé, il répondra Deo gratias ou Benedic. Puis, avec toute la mansuétude que donne la crainte de Dieu, il s'empressera de donner réponse avec une charité fervente. Si le portier a besoin d'aide, on lui donnera un frère plus jeune.
Le monastère doit, autant que possible, être disposé de telle sorte que l'on y trouve tout le nécessaire: de l'eau, un moulin, un jardin et des ateliers pour qu'on puisse pratiquer les divers métiers à l'intérieur de la clôture. De la sorte les moines n'auront pas besoin de se disperser au dehors, ce qui n'est pas du tout avantageux pour leurs âmes. Et nous voulons que cette Règle soit lue souvent en communauté afin qu'aucun frère ne s'excuse sous prétexte d'ignorance.

Chapitre LXVII. LES FRERES QUE L'ON ENVOIE EN VOYAGE

Les frères qui doivent aller en voyage se recommanderont aux prières de tous les frères et de l'abbé. Après la dernière oraison de l'Œuvre de Dieu, on fera toujours mémoire de tous les absents.
En rentrant de voyage, le jour même de leur retour, les frères se prosterneront à terre dans l'oratoire à toutes les heures canoniales, quand s'achève l'Œuvre de Dieu. Ils demanderont les prières de tous, à cause des écarts qu'ils auraient pu commettre en voyage, par leurs regards, ou en écoutant de mauvaises choses ou de vains propos.
Personne ne se permettra de rapporter sans discernement à autrui ce qu'il aurait vu ou entendu hors du monastère, car cela produit de très grands dégâts. Celui qui oserait le faire sera soumis à la correction régulière. De même celui qui se permettrait de sortir de l'enceinte du monastère, ou d'aller n'importe où, ou de faire quoi que ce soit, même de peu d'importance, sans l'autorisation de l'abbé.

Chapitre LXVIII. SI L'ON ENJOINT A UN FRERE DES CHOSES IMPOSSIBLES

Si l'on enjoint à un frère des choses difficiles ou impossibles, il recevra en toute mansuétude et obéissance le commandement qui lui est fait. Cependant, s'il estime que le poids du fardeau dépasse entièrement la mesure de ses forces, il représentera au supérieur les raisons de son impuissance, avec patience et à propos, sans témoigner ni orgueil, ni résistance, ni contradiction. Que si après cette représentation le supérieur maintenait son ordre, l'inférieur se persuadera que la chose lui est avantageuse, et il obéira par amour, en mettant sa confiance dans l'aide de Dieu.

Chapitre LXIX. QUE NUL DANS LE MONASTERE NE SE PERMETTE D'EN DEFENDRE UN AUTRE

Il faut veiller à ce que personne, en aucune circonstance, dans le monastère, ne se permette de défendre un autre moine, ou de lui servir comme de protecteur, et cela, quel que soit le degré de parenté qui les unisse. Les moines ne se le permettront d'aucune manière, car il peut en résulter de très graves occasions de conflits. 4Si quelqu'un transgresse cette défense, on le punira très sévèrement.

Chapitre LXX. QUE NUL NE SE PERMETTE DE FRAPPER A TOUT PROPOS

Il faut éviter dans le monastère toute occasion de présomption: aussi ordonnons-nous qu'il ne sera permis à personne d'excommunier ou de frapper l'un de ses frères, à moins qu'il n'en ait reçu pouvoir de l'abbé.
Ceux qui commettront des fautes seront repris devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent de la crainte. (1 Tm 5,20) Les enfants, jusqu'à l'âge de quinze ans, seront sous la garde et la surveillance de tous les frères; mais cette vigilance s'exercera avec mesure et intelligence. Quant à celui qui se permettrait, sans l'ordre de l'abbé, de réprimander d'une façon quelconque des frères plus âgés, ou qui s'emporterait contre des enfants sans discrétion, il serait soumis à la discipline régulière, car il est écrit: "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui." (Tb 4,16; Mt 7,12)

Chapitre LXXI. QUE LES FRERES S'OBEISSENT MUTUELLEMENT

Ce n'est pas seulement à l'abbé que tous les frères doivent rendre le bien de l'obéissance; il faut encore qu'ils s'obéissent les uns aux autres. Ils sauront que c'est par cette voie de l'obéissance qu'ils iront à Dieu.
Plaçant avant tout les ordres de l'abbé et ceux des responsables qu'il a établis ­ ordres auxquels nous ne permettons pas de préférer les directives d'origine privée ­ tous les jeunes obéiront pour le reste à leurs anciens, en toute charité et empressement.
S'il se rencontre quelqu'un qui ait l'esprit de contestation, il sera châtié.
Lorsqu'un frère est repris par l'abbé ou par un supérieur quelconque en n'importe quelle manière, et pour une cause même de peu d'importance, s'il s'aperçoit alors tant soit peu que l'esprit de ce supérieur est irrité ou ému contre lui, fût-ce légèrement, il se prosternera aussitôt sans tarder par terre, à ses pieds, pour faire satisfaction jusqu'à ce que la bénédiction qu'on lui donnera ait fait connaître que l'émotion est calmée. Si quelqu'un dédaigne d'en agir ainsi, il sera soumis à un châtiment corporel, et, s'il demeure opiniâtre, il sera expulsé du monastère.

Chapitre LXXII. LE BON ZELE QUE DOIVENT AVOIR LES MOINES

Il est un mauvais zèle, un zèle amer, qui sépare de Dieu et mène à l'enfer. De même, il est un bon zèle qui sépare des vices, et mène à Dieu et à la vie éternelle. C'est ce zèle que les moines pratiqueront avec un très ardent amour: ils s'honoreront mutuellement avec prévenance; (Rm 12,1) ils supporteront avec une très grande patience les infirmités d'autrui, tant physiques que morales; ils s'obéiront à l'envi; nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui; ils s'accorderont une chaste charité fraternelle; ils craindront Dieu avec amour; ils aimeront leur abbé avec une charité sincère et humble; ils ne préféreront absolument rien au Christ; qu'Il nous amène tous ensemble à la vie éternelle!

Chapitre LXXIII. TOUTE LA PRATIQUE DE LA JUSTICE N'EST PAS CONTENUE DANS CETTE REGLE

Cette Règle, que nous venons d'écrire, il suffira de l'observer dans les monastères pour faire preuve d'une certaine rectitude morale et d'un commencement de vie monastique. Quant à celui qui aspire à la vie parfaite, il a les enseignements des saints Pères, dont la pratique amène l'homme jusqu'aux sommets de la perfection. Est-il, en effet, une page, est-il une parole d'autorité divine, dans l'Ancien et le Nouveau Testament, qui ne soit une règle toute droite pour la conduite de notre vie? Ou encore, quel est le livre des saints Pères catholiques qui ne nous enseigne le droit chemin pour parvenir à notre Créateur? Et de même, les Conférences des Pères, leurs Institutions et leurs Vies, ainsi que la Règle de notre saint Père Basile, sont-elles autre chose que des instruments de vertus pour moines vraiment bons et obéissants.

Il y a là pour nous, relâchés, inobservants et négligents, de quoi rougir de confusion.
Qui donc que tu sois, qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis, avec l'aide du Christ, cette toute petite Règle, écrite pour les débutants. Cela fait, tu parviendras avec la protection de Dieu, aux plus hautes cimes de la doctrine et des vertus, que nous venons de rappeler. Amen.

 
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